Pour ou contre le travail de Céline Alvarez : j’ai lu Les Lois naturelles de l’enfant

On entend tout et son contraire sur le buzz médiatique de ces derniers mois dans le monde de l’éducation qu’a entraîné la parution du livre de Céline Alvarez. On entend tout et son contraire sur le travail de Céline Alvarez mais, comme souvent dès que le débat concerne l’école, peu peuvent se targuer d’avoir vraiment lu son livre et analysé en profondeur son propos. Suite à un de mes papiers sur ce site, pas franchement conciliant, ladite Céline Alvarez a eu l’amabilité de m’envoyer son livre que j’ai lu jusqu’à la fin, soit la 454ème page…. Mon avis est désormais documenté…

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Céline Alvarez (photo : Annabelle Lourenço pour Le Monde)

Vous avez été nombreux à m’expliquer que vous étiez intéressés par un avis étayé, je vais essayer d’être la plus objective évidemment mais surtout la plus claire et donc structurée possible. « Ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement »…

Les PLUS : 

Ce qu’elle dit sur l’importance du vocabulaire et du langage lorsqu’on s’adresse aux enfants est toujours bon à rappeler. Oui, si l’on veut qu’un enfant ait du vocabulaire, il faut le développer en lui parlant avec … un vocabulaire développé. Certes, ça sonne comme une évidence mais ce n’est pas toujours limpide quand on écoute les parents s’adresser aux enfants ; et son laïus sur la manière qu’elle avait, dans sa classe, d’être intransigeante sur la façon qu’avaient de s’exprimer ses élèves est plein de pertinence (p.50-52).

Sa réflexion sur l’importance de mélanger les âges au sein des classes est, elle aussi, pleine de bon sens. Après tout, pourquoi faudrait-il imposer à un élève d’apprendre telle chose à tel âge sinon pour un besoin organisationnel ? Et surtout, ne tirerions-nous pas de grands avantages à faire vivre ensemble, toute la journée, des enfants de 6ème, de 5ème, de 3ème ? Idem pour la maternelle et le primaire… Son propos sur le sujet donne très envie d’essayer. (p.55 et 85-86).

Dans sa volonté de développer l’enthousiasme de l’enfant, elle donne beaucoup d’importance à l’environnement dans lequel il évolue. « L’environnement doit se suffire à lui-même », être présenté individuellement. Le suivi individuel de l’élève en découle avec force. L’idée n’étant pas de décorer une salle pour la rendre attrayante, au contraire, mais bien d’attirer l’intérêt de l’élève grâce à une classe structurée, avec des pôles d’activités mais aussi un langage approprié et irréprochable, des âges mélangés, etc.

Son argument le plus fort, à mon sens, est par ailleurs celui de l’AUTONOMIE et de la pédagogie qui est, comme elle le dit à juste titre, « forcement active ». L’élève doit, pour s’épanouir et trouver du SENS (c’est l’essentiel de notre problème, qu’ils trouvent un sens à ce qu’ils font à l’école, et ce n’est pas nouveau, c’est la conclusion de tous les chercheurs en sciences de l’éducation (Bautier, Charlot, Rochex en tête) bien avant que Alvarez ne naisse…) être « en activité ». En permanence. Et dans une forme d’autonomie. C’est très compliqué à mettre en place, en particulier au collège et au lycée, sans doute plus aisé en maternelle et en primaire mais c’est aussi ce qui a le plus de pertinence dans le propos de Céline Alvarez (évidemment pas besoin de détruire l’école et le système pour cela… je crois en effet que partir de la désapprobation du système comme elle le fait, au lieu de défendre cette idée forte d’autonomie et de pédagogie active est une erreur de sa part mais j’y reviendrai).

Elle explique par ailleurs l’importance de la motivation endogène (celle qui découle de soi, qui vient de l’intérieur), en opposition à la motivation exogène (la motivation extérieure, comme les notes et les récompenses…). A priori je veux bien, mais mon passif de prof m’empêche d’y croire. Je travaille cette année par compétences avec une classe. Quand mes élèves ont validé une compétence, ils me demandent toujours : « Madame, ça veut dire que j’ai 20 ? » et ils s’interrogent entre eux « Et alors, M. tu as eu quelle couleur pour ta compétence ? ». Sans notes, sans compétences, mes élèves ne voient pas l’intérêt de travailler. Sans doute m’y prends-je mal ? En tout cas, sur le papier, la motivation endogène est belle…

L’autre argument fort, après celui de l’autonomie et de la pédagogie active, est celui, j’y reviens encore, du sens. Oui, s’ils voient un sens à ce qu’ils font, ils sont plus impliqués. Comment donner du sens ? Des chercheurs se posent ces questions depuis des décennies. Si Madame Alvarez a trouvé la réponse, au moins pour les petites classes, j’en suis très heureuse et par ailleurs, les exemples qu’elle donne dans son livre, sur l’apprentissage de la lecture par exemple, du vocabulaire, me semblent très pertinents : toucher, palper, comprendre, pouvoir réutiliser dans la vie quotidienne les choses apprises… (p. 309). (Je fais une parenthèse ici pour évoquer très rapidement la méthode d’apprentissage de la lecture proposée par Alvarez qui la reprend évidemment chez d’autres : elle utilise la méthode phonétique. Les enfants commencent par apprendre le SON des lettres et non leurs noms. Cela m’a paru plein de sens… pour le coup).

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LES MOINS : 

Quand l’auteure parle des neurosciences, elle ne donne pas ses sources, ou alors sporadiquement et cela est très embêtant, surtout lorsqu’il s’agit d’un sujet aussi controversé… Je vous rappelle que les neurosciences et surtout les neuromythes posent de nombreux problèmes dans le discours. L’article qui précède celui-ci sur ce site en parle en long, en large et en travers. Il faut prendre les conclusions des neurosciences avec intérêt mais intelligence. Les neurosciences ne vont pas révolutionner l’apprentissage, en tout cas pas tout de suite.

Céline Alvarez parle également beaucoup d’individualisation de l’apprentissage. C’est comme la motivation endogène ça (voir plus haut), c’est beau sur le papier. Ou alors ça implique au moins deux adultes par classe. On en revient donc toujours aux moyens (prions pour que Fillon ne passe pas hein… parce qu’avec tous ces fonctionnaires en moins, ça va être compliqué). Deux adultes par classe. Le pied.

A la page 81 de son livre, Céline Alvarez avoue au sujet d’un enfant « adorable et plein de vie mais qui passait ses journées à embêter les autres, à parler extrêmement fort et qui était incapable de se concentrer » qu’elle ne pouvait « plus rien faire pour lui » parce qu’il regardait la télé plusieurs heures par jour »… Elle a convaincu ses parents de jeter les écrans de la maison (si, si) et l’enfant s’est transformé. Alors tant mieux. Mais croyez-vous vraiment qu’on va faire jeter tous les écrans des appartements des tours où habitent mes élèves de REP ? Bah non Céline non… Et tu l’as dit toi même : sans ce changement là, même toi, tu ne pouvais rien faire. CQFD. 

Enfin quand Céline Alvarez écrit « ce n’est pas du nouveau matériel qu’il faut faire entrer en priorité dans les classes mais de la vie, de l’amour, de la foi, de l’enthousiasme » (p.219), j’ai juste envie de demander à tous les profs qui l’ont lue s’ils sont contents de lire cela ? Ahum…

LES QUESTIONS QUE CELA POSE :

En tant que maman, d’abord. Je suis enseignante en collège et lycée, je ne connais pas du tout le quotidien d’une classe de maternelle et franchement, la façon qu’à Céline Alvarez de présenter ce qu’il se passe en classe actuellement me laisse perplexe. Si je l’écoute vraiment, moi qui suis pourtant pro-public, je courrais inscrire ma fille dans une école privée. Sérieux Céline, c’est comme une « prison » l’école maternelle aujourd’hui ? Sérieux Céline, les maîtresses, le rythme scolaire, la façon de faire actuelle, toussa toussa, ça va vraiment contre le développement de l’enfant ? Non parce que moi, il est hors de question que je mette ma fille dans une école qui la démolirait et quand je l’écoute, Céline, c’est l’idée que je me fais de l’école maternelle…

Heureusement, je suis prof… Je vois bien que les élèves ne subissent pas tant que ça. En tout cas, la plupart. En tout cas, au collège et au lycée. Mais oui, il faudrait faire mieux. Mais oui, bien sûr, il faudrait revenir sur cette histoire de pédagogie active, d’âges mélangés, d’autonomie, oui, mais pitié, sans donner l’impression qu’actuellement, ce n’est pas l’école mais l’enfer !

Heureusement, j’ai été élève (et jusqu’à l’université, pas une très bonne élève… peut-être parce qu’on ne me laissait pas travailler alors que la littérature…) et je ne suis pas traumatisée. J’ai aimé même tout ça. Et ça m’a construit, le bien ET le mauvais. Cependant, moi qui travaille en REP et qui côtoie de nombreux élèves décrocheurs, je suis d’avis de leur proposer à eux qui refusent tout en bloc, autre chose. Aux autres aussi pourquoi pas, mais sans crier haro sur le baudet… Parlons d’abord des arguments forts. Tranquillement… Avec intelligence. Sans jouer le rôle du messie.

AVIS TRÈS RÉSUMÉ (pour ceux qui auraient eu la flemme de tout lire)

C’est intéressant de lire le livre de Céline Alvarez. C’est enthousiasmant aussi. Cela dit, on ne peut s’empêcher de penser qu’il est rempli d’évidence. Oui, il faut aimer son enfant. Oui, il faut respecter son rythme. Etcaetera. Ceux qui le pensent déjà liront son livre. Les autres…

Cependant, je l’ai dit et redit, il y a de nombreux arguments forts. En tête, ceux qui parlent d’autonomie, de mélange des âges, de pédagogie active. Mais il est bon de rappeler que de nombreux chercheurs et de nombreux pédagogues défendent cela depuis des lustres, que ni Maria Montessori ni Céline Alvarez ont le monopole de ces idées-là. Evidemment, si Madame Alvarez a suffisamment de charisme pour parvenir à les faire évoluer tout en vendant des milliers de livres, qu’elle le fasse et ce sera tant mieux. Il faut seulement rappeler que tout cela existe dans d’autres livres plus documentés, plus objectifs aussi.

Finalement, Céline Alvarez crée une sorte de mouvement. De nombreux professeurs (professeurs des écoles essentiellement) échangent sur le forum qu’elle a créé sur son site et cela est une très très bonne chose. On ne peut tout de même pas lui reprocher de créer une dynamique positive. On peut lui reprocher son angle d’attaque (et je le fais avec force, même après la lecture de son livre), on peut aussi lui reprocher son discours dans les médias (souvent vraiment trop approximatif et parfois propulsé par des mythes, et aussi totalement mégalo, non, elle n’est pas pédagogue mais encore moins « professeure », on n’est pas professeur en ayant enseigné deux ans puis démissionné) mais on ne peut vraiment pas lui reprocher de faire du mal. A la réputation de l’école sans doute (et elle n’avait pas besoin de ça), à l’image des professeurs avec certitude, mais aux enfants non, et je le répète encore, de bonnes idées sont à prendre chez elle, même si elles ne sont pas immédiatement les siennes, alors vas-y Céline, on te regarde… et sincèrement, en tout cas personnellement et malgré mon article mi-figue mi-raisin, avec bienveillance.

Céline Alvarez, Les Lois naturelles de l’enfant, Editions Les Arènes, 454 pages. 

 

Méfiez-vous des neurosciences…

Depuis quelques années, les écoles nouvelles qui refleurissent en France cherchent à instaurer leur légitimité et la pertinence de leurs méthodes pédagogiques en s’appuyant sur les neurosciences. Cécile Alvarez, nouvelle papesse de la pédagogie Montessori a d’ailleurs écrit un livre paru en septembre 2016, déjà best-seller, avec une seule ligne de communication qu’elle a assénée dans tous les médias français où on l’a vue pendant la promotion de son livre : « Il faut relire Montessori à la lumière des nouvelles découvertes en neurosciences pour réformer l’école, dont le système actuel est une aberration pour le fonctionnement de l’enfant, dans son ensemble». Pourtant, n’est-il pas dangereux d’affirmer qu’il faut réformer entièrement l’école grâce aux pédagogies nouvelles en les couplant aux découvertes récentes dans le domaine des neurosciences ?

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Article qui suit écrit par Gaussel Marie et Reverdy Catherine (2013). « Neurosciences et éducation : la bataille des cerveaux ». Dossier d’actualité Veille et Analyse, n° 86. Lyon : ENS de Lyon. En ligne : http://ife.ens-lyon.fr/vst/DA/detailsDossier.php?parent=accueil&dossier=86&lang=fr
Gaussel Marie et Reverdy Catherine (2016). « Des apports qui restent discutables… » Cahiers pédagogiques, n° 527. En  ligne : http://www.cahiers-pedagogiques.com/Des-apports-qui-restent-discutables

Comment appliquer les théories neuroscientifiques dans un environnement scolaire ? Comment rendre l’environnement des élèves riche et socialement bénéfique ? Peut-on vraiment élaborer des pédagogies plus efficaces grâce aux connaissances neuroscientifiques ? Les ponts ne semblent pas encore bien construits pour passer du laboratoire à la salle de classe, une des nombreuses raisons reposant sur les différences entre les méthodes d’investigation. Cité par Eisenhart et DeHaan (2005), le rapport Scientific Research in Education (National Research Council, 2002) précise les six conditions qui devraient préalablement faire partie du cahier des charges de toute recherche, a fortiori en éducation : − pouvoir la relier à des méthodes de recherche empiriques ; − lier la recherche aux théories pertinentes ; − utiliser des méthodes d’investigation directe ; − détailler et expliquer la chaîne de raisonnement ; − répéter et généraliser les résultats des enquêtes ; − rendre les recherches publiques afin de favoriser les échanges professionnels et les critiques. Avec ce canevas en tête, l’on peut observer les études de neurosciences cognitives qui proposent d’utiliser directement ou indirectement leurs méthodes en classe et la réaction du monde de l’enseignement face à l’engouement que cela provoque. Cela nous intéresse d’autant plus que les défenseurs des nouvelles pédagogies, Cécile Alvarez en tête, qui ancienne institutrice de l’éducation nationale a démissionné puis publié un livre pour défendre les principes de l’éducation Montessori pour tous en Maternelle suite à l’enquête qu’elle a menée pendant trois ans dans une maternelle de Gennevilliers, défendent l’idée que les nouvelles pédagogies sont désormais « validées » par les nouvelles découvertes en neuroscience, conclusion qui peut paraître peut-être un peu prématurée, en tout cas difficilement justifiable scientifiquement.

  • QUAND LE CERVEAU FASCINE TROP :

Selon Trout (2008), citant les travaux de Skolnick Weisberg et al. (2008), la plupart des personnes non expertes acceptent plus facilement les théories qui reposent sur des faits neuroscientifiques, comme si elles avaient plus de valeur. Pour le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé qui évoque un « déficit conceptuel » de ces théories, les images cérébrales traduisent en effet des changements dans l’activité des neurones, mais sans préjuger du contenu du message ou d’un état mental du sujet étudié, ou d’une psychologie déterminée, qui restent à interpréter par d’autres méthodes et qui ne se réduisent pas à l’activité cérébrale observée (« La fascination pour le pouvoir de la neuroimagerie est telle que le concept de “lecture de l’esprit” ou “mind-reading” est proposé comme un concept opératoire. Dans la mesure où l’image ne peut être niée comme peut l’être une proposition discursive, on a tendance à lui prêter une interprétation intrinsèque alors qu’elle suppose une compétence et des règles d’interprétation, compétence et règles qu’elle ne véhicule pas directement » (Agid & Benmakhlouf, 2011). (Agid & Benmakhlouf, 2011). Ce type d’information « placébique » largement utilisé dans les médias peut malheureusement contribuer à la naissance et la prolifé- ration de fausses théories.

Quand on ajoute à cela les effets d’un visuel représentant le cerveau, les théories neuroscientifiques sont perçues comme d’autant plus plausibles (McCabe & Castel, 2008). Dès lors, l’enthousiasme important des décideurs politiques pour la neuro-imagerie, l’engouement d’un public en demande de solutions fiables(« Le succès de ces théories simplistes, qui expliquent tous nos comportements, par la biologie, tient au fait qu’elles sont finalement rassurantes. Elles nous donnent l’illusion de comprendre et de se sentir moins responsables de nos actes » (Vidal, 2011).), des hypothèses scientifiques (mêmes réfutées par la suite) répandues et relayées par les médias et leur exploitation politique et économique, engendrent des « neuromythes« Croyances battues en brèche par la science mais largement répandues et relayées, par divers vecteurs, dans l’esprit du profane » (CERI, 2002). » préjudiciables pour l’enseignement (Pasquinelli, 2012).

Un environnement enrichi favorise le développement du cerveau L’influence des environnements enrichis sur le développement cérébral a principalement été testée chez les rats en stimulant les animaux en introduisant de nouveaux objets de type roue ou tunnel dans leur cage. Les observations ont montré que les premières expériences des rats sont susceptibles d’augmenter le nombre de synapses de 25 %. Ces recherches visent à découvrir comment un environnement complexe agit sur la plasticité cérébrale, comment le cerveau se souvient des expériences vécues et quelle est la nature des mécanismes neuronaux impliqués. Les avis des chercheurs diffèrent : pour certains l’apprentissage est le fruit d’un élagage (des synapses sont éliminées), pour d’autres les synapses déjà existantes sont renforcées. Enfin, pour les derniers, l’apprentissage s’appuie sur la création de synapses qui permettent le stockage de nouvelles informations. Aujourd’hui, rien ne prouve qu’un environnement enrichi pour les enfants entraîne automatiquement une augmentation du capital neuronal. À l’inverse, les effets d’un environnement très appauvri sont mieux reconnus et peuvent provoquer des carences dans le développement cognitif des rats et des humains (Howard-Jones, 2010a)

L’apprentissage basé sur le fonctionnement du cerveau, très en vogue depuis les années 1990, repose sur les principes de fonctionnement du cerveau. Cette théorie part du postulat que, puisque notre cerveau nous sert à apprendre, alors il faut savoir comment notre cerveau fonctionne et surtout comment lui faire « plaisir ». Les neurosciences de l’éducation font de nombreux disciples, car elles affichent le double objectif de proposer des méthodes pédagogiques efficaces applicables en classe et d’expliquer le fonctionnement cognitif du cerveau lors des processus d’apprentissage. À ce propos, Goswami (2008a) identifie six principes d’apprentissage pouvant être utilisés dans les salles de classe : − l’apprentissage est basé sur l’expérience et fonctionne par incré- mentation ; − l’apprentissage est multi-sensoriel ; − les mécanismes cérébraux de l’apprentissage structurent des informations isolées pour construire des concepts génériques ; − l’apprentissage est social ; − l’apprentissage est modulé par l’émotion, l’intention, le stress ; − le cerveau est plastique tout au long de la vie. Très enthousiasmés par ces principes énoncés, les partisans du brain-based learning suggèrent d’augmenter l’attention et la mémorisation (rétention) des élèves en créant un environnement apaisant, propice aux échanges et intellectuellement stimulant. Bruer (2002) souligne à ce propos qu’il n’y a rien de nouveau dans cette idée puisqu’elle emprunte ces hypothèses aux modèles cognitifs et constructivistes étudiés par la psychologie depuis plus de 30 ans ; aucune preuve sur l’efficacité de telle ou telle pédagogie ne résulte à ce jour des théories neuroscientifiques.

  • LES AMBITIONS DES NEUROSCIENCES SUR LE PLAN ÉDUCATIF

Dans l’idée d’appliquer les résultats trouvés en neurosciences au monde de l’éducation, certains neuroscientifiques ont voulu soit faire des expé- riences directement en classe, soit appliquer à l’école les résultats trouvés en laboratoire. Nous aborderons ici les difficultés conceptuelles rencontrées et les problématiques soulevées. Les obstacles sont d’ordre pratique (limitations méthodologiques) ou scientifique (rencontre obligée avec les recherches en éducation).

Beaucoup de chercheurs en neurosciences cognitives considèrent que toute recherche qui s’intéresse à l’éducation doit obéir aux mêmes règles que les recherches en laboratoire. Pour Dehaene (2011) en effet, « seule la comparaison rigoureuse de deux groupes d’enfants dont l’enseignement ne diffère que sur un seul point permet de certifier que ce facteur a un impact sur l’apprentissage », comme en recherche médicale : « chaque réforme […] devrait faire l’objet de discussions et d’expérimentations aussi rigoureuses que s’il s’agissait d’un nouveau médicament ». Les chercheurs en éducation paraissent souvent sceptiques vis-à-vis des expérimentations faites en neurosciences, qu’ils trouvent justement trop contrôlées au regard du nombre très important de variables à étudier en classe (Ansari et al., 2012). Les mêmes auteurs ajoutent que les neuroscientifiques devraient considé- rer le vécu et l’environnement d’apprentissage comme des variables à prendre en compte et à développer plutôt qu’à contrô- ler absolument (On peut noter ici la difficulté à définir ce que pourraient être des variables caractérisant le vécu d’apprentissage de l’élève ou son environnement social et physique (voir le tableau comparatif des objectifs et méthodologies des neurosciences cognitives et des recherches en éducation d’Ansari & Coch, 2006). (De Smedt et al., 2010).

Battro (2010) affirme que la méthode globale de lecture est inefficace (Nous renvoyons de nouveau à un dossier précédent (Feyfant & Gaussel, 2007) qui aborde le débat de 2006 sur les méthodes de lecture les plus efficaces, dont il semblerait qu’il se soit clos sur les avantages d’une méthode mixte d’apprentissage, ce qui paraît confirmé par le rapport du CERI (2007) : « On peut donc supposer que : idéalement, l’enseignement de la lecture combine sans doute l’approche syllabique et la méthode globale ».  et géné- ralise ce résultat : « brain research can invalidate specific methods of teaching », mais en restant malgré tout prudent dans sa conclusion.

  1. Exemple d’application en classe

Une des expériences appliquant des résultats de neurosciences en classe consiste à voir si la formation des enseignants aux « principes scientifiques de la lecture » (tirés des recherches neuroscientifiques) peut améliorer les résultats des élèves de CP en lecture (Dehaene, 2011). Les premiers résultats de cette expérimentation engagée en 2010-2011 auprès de 1 800 élèves paraissent décevants pour l’auteur, au point que le passage du laboratoire à la salle de classe lui semble très difficile. Malgré cette remarque, il conclut son ouvrage par : « Notre conclusion sera donc très simple : la science de la lecture est solide ; les principes pédagogiques qui en découlent sont aujourd’hui bien connus ; seule leur mise en application dans les classes demande encore un effort important ». Ne questionnant pas la méthodologie employée (groupes témoin et contrôle, tirage au sort des enseignants formés, choix des tests de performance en lecture, type de formation reçue…) ou les hypothèses de recherche (prise en compte du rôle de l’écrit), il met la balle dans le camp de l’Éducation nationale, invitant à une meilleure formation des enseignants, à un accès à des ressources « structurées et motivantes » ou à des outils pédagogiques compatibles avec cette « science de la lecture ». La dernière phrase de l’ouvrage « Des sciences cognitives à la salle de classe [sous-titre de l’ouvrage], il ne reste qu’un petit pas à franchir » montre l’écart qui sépare les chercheurs en neurosciences de la réalité de la classe (voir le point de vue de Roland Goigoux dans le Bulletin de la Recherche de l’IFE n° 19 de 2013).

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« Pourquoi j’ai créé une école où les enfants font ce qu’ils veulent… »

Voici le témoignage de Ramïn Farhangi. Il nous parle de « donner le pouvoir aux enfants… Tout le pouvoir de relever le plus grand défi de toutes vies humaines, celui d’être totalement indépendant et responsable de sa propre vie, pas seulement à l’age de 18 ans mais à tous les ages ». Il nous raconte l’histoire de l’école qu’il a créée dans le 13ème arrondissement à Paris. Il fait une proposition politique : remplacer la loi pour l’instruction obligatoire par la loi pour la liberté d’instruction. « Rien n’est plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue » disait Victor Hugo. La vidéo dure 15 minutes et mérite le visionnage…

 

Première évaluation des compétences numériques des élèves : Les pays de l’OCDE doivent modifier leur utilisation des nouvelles technologies à l’école

D’après la première évaluation des compétences numériques menée dans le cadre du programme PISA de l’OCDE, l’école doit encore tirer parti des possibilités offertes par les nouvelles technologies dans les salles de classe afin de venir à bout de la fracture numérique et de doter chaque élève des compétences nécessaires pour évoluer dans le monde connecté d’aujourd’hui.

Le rapport intitulé « Students, Computers and Learning: Making The Connection » indique que même les pays qui ont considérablement investi dans les technologies de l’information et de la communication (TIC) dans l’éducation n’ont enregistré aucune amélioration notable de leurs résultats aux évaluations PISA de compréhension de l’écrit, de mathématiques et de sciences.

D’après l’OCDE, le fait de s’assurer que chaque élève atteigne un niveau de compétences de base en compréhension de l’écrit et en mathématiques contribuera davantage à l’égalité des chances dans notre monde numérique que le simple fait d’élargir ou de subventionner l’accès à des services et des appareils de haute technicité.

En 2012, 96 % des élèves de 15 ans des pays de l’OCDE ont déclaré posséder un ordinateur à la maison, mais seuls 72 % ont déclaré en utiliser un à l’école. Dans l’ensemble, les élèves utilisant modérément les ordinateurs à l’école ont tendance à avoir des résultats scolaires légèrement meilleurs que ceux ne les utilisant que rarement. Mais les élèves utilisant très souvent les ordinateurs à l’école obtiennent des résultats bien inférieurs, même après contrôle de leurs caractéristiques socio-démographiques. La solution se trouverait donc comme souvent dans la modération ??

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Montessori : A quel âge et pour qui ?

Je viens de finir L’Esprit absorbant de l’enfant, dernier et très bon livre de la scientifique et pédagogue Maria Montessori, et si j’en ai retenu de nombreuses leçons sur la façon d’éduquer et d’enseigner, cette lecture me fait également m’interroger sur la possibilité de mettre en place, dans nos écoles traditionnelles, une éducation basée entièrement sur la méthode montessorienne. En effet, alors que nous éduquons nos enfants à partir d’un système de notes, de classements et de compétitions, Maria Montessori aurait plutôt tendance à crier haro sur tout cela et à privilégier la vie en société et l’auto-correction de l’élève, sans zéro humiliant ou correction du professeur. Croyez-moi, quand on lit son livre et donc toutes les expériences qu’elle met en avant pour justifier sa théorie, on ne peut que l’approuver. C’est bien plus logique, pour un enfant qui n’a pas encore formé ni son caractère, ni son être social, de faire par lui-même, de s’auto-corriger, d’être simplement accompagné sans violence dans les mots ni demande frontale d’obéissance.

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La pédagogie Freinet : déjà validée par l’éducation nationale ! #lesaviezvous #nouvellepédagogie #écolemoderne

Célestin Freinet, c’est un instituteur qui s’est toujours interrogé sur les pratiques de son enseignement jusqu’à créer une nouvelle pédagogie que ses défenseurs considèrent comme la base de l’école moderne. Si beaucoup de monde connait le nom de Freinet, peu de gens savent que les écoles qui s’en réclament font partie des établissements de l’éducation nationale qui en valide les programmes.

Les individus moins informés sur ces pratiques novatrices, à l’époque de Freinet comme aujourd’hui, les dénigrent et les qualifient de « dangereuses ». Si la méthode Freinet est libertaire, elle n’est pourtant pas anarchiste : les enfants doivent suivre les règles de la vie en communauté, se respecter et respecter les autres, ils ont des corvées et des responsabilités. Pas de quoi fouetter un chat ! Par ailleurs, à ceux qui reprocheraient à la méthode Freinet de n’être pas assez compétitive pour préparer au monde dans lequel on vit adulte, pas assez productive en terme de savoir ; on pourrait répondre que de toute façon, comme je l’ai dit plus haut, la pédagogie Freinet ayant été « rachetée » par l’éducation nationale, les programmes sont les mêmes dans ces écoles et dans celles dites « classiques ». Il y a donc des établissements de l’éducation nationale, gérés par l’état, qui mettent en pratique la pédagogie freinet et rien d’autre (des écoles, des collèges, mais aussi des lycées). Ce qui change ? Ce sont simplement les façons d’apprendre, la manière d’engranger ce savoir commun à tous les enfants de l’école publique.

Freinet est, au début de sa carrière, instituteur dans une école communale classique. Déjà, il intègre dans son enseignement de petites révolutions, notamment l’imprimerie : il n’y a pas de manuels, l’élève produit des textes sur absolument tous les sujets envisageables puis il les imprime pour ses petits camarades. Mais la méthode Freinet engendre de nombreuses réactions négatives et l’instituteur est contraint de quitter l’éducation nationale.

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Il ouvre alors une nouvelle école, à Vence, et y applique ses propres trouvailles pédagogiques. L’Ecole est payante, mais puisqu’elle accueille des enfants de tous les horizons (notamment les orphelins de la guerre d’Espagne) peu d’entre eux payent réellement le prix de la formation.

En 1944, Freinet rejoint la résistance et participe au comité départemental de libération de Gap. L’école Freinet qui avait été fermée pendant la guerre et l’occupation est réouverte en 1945 mais les attaques contre Freinet et sa pédagogie ne cesseront plus. Même les communistes qu’il soutenait se livreront à une véritable chasse aux sorcières contre lui. Freinet meurt en 1966. Sa femme Elise reprend la direction de l’école située à Vence. Elle fait perdurer toutes les innovations pédagogiques chères à Freinet, notamment les B.T (bulletin de travail) : une collection de petits fascicules portant sur UN sujet particulier et pouvant être fabriqués par qui le souhaite, s’il est spécialiste. Les enfants consultent ces B.T dès qu’ils ont l’idée de s’intéresser à un thème ou un sujet. Elle continue également la tradition du texte libre : tous les matins, les enfants rédigent un texte. Tous les textes sont lus et la classe choisit le meilleur d’entre tous, selon des critères subjectifs et un vote démocratique. Le texte est ensuite imprimé puis il devient une base de travail pour toute la classe : correction des fautes d’orthographe, recherche autour de thèmes liés au texte choisi, etc.

(J’ai l’intention de tester cette pratique du texte libre très vite avec mes secondes, j’en ferai le commentaire ici plus tard).

 L’école reste privée jusqu’en 1991 mais les réticences et la méfiance à son égard manquent de la faire couler. Un groupe de soutien se crée. On demande à l’état de réagir. En 1991, l’école Freinet est achetée par l’État sur ordre de Lionel Jospin, ministre de l’Éducation nationale. Depuis, cette école à régime expérimental préserve sa pédagogie spécifique. Elle constitue donc une référence mondiale, et un « modèle » à partir duquel on peut penser aujourd’hui la pratique de la pédagogie de Freinet.

Peu de parents savent pourtant qu’ils peuvent faire le choix de la pédagogie Freinet en inscrivant leurs enfants dans une école d’état qui pratique cette pédagogie différente et expérimentale.

Vous retrouverez la liste de ces écoles, collèges et lycée en cliquant ici. Attention cependant, cette liste répertorie toutes les écoles « différentes », il faut donc faire le tri entre les écoles privées (qui peuvent ne pas être sous contrat avec l’état et donc pas contraintes de respecter un programme particulier) et les écoles publiques, écoles d’état ayant fait le choix de pédagogies différentes.

Pour en savoir plus sur la pédagogie Freinet :

– le site de l’Institut Freinet

– le site de l’ICEM-Pédagogie Freinet

– Le film l‘Ecole buissonnière sur le site de l’Ina. Ce film raconte de façon romancée l’histoire de Freinet et de sa pédagogie. Le rôle de Célestin Freinet est interprété par Bernard Blier. Film datant de 1949.