Apprendre la lecture aux élèves en difficulté : plus les textes sont complexes mieux ça marche !

Une recherche de J. Deauviau portant évaluation des méthodes et manuels de lecture pour le CP vient a été réalisée il y a 2 ans par un labo du CNRS. Les résultats et les enseignements inédits de cette enquête méritent l’attention. Contrairement à ce que l’on pourrait penser instinctivement : plus les textes sont complexes, mieux l’enfant intègre la lecture.

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La conclusion de la note de synthèse est très parlante :

“On remarque conjointement qu’à l’inverse d’un présupposé pédagogique très répandu le manuel qui se révèle le plus efficient avec les élèves des milieux les plus défavorisés est aussi le plus exigeant non seulement dans l’apprentissage technique du code, mais aussi dans ses contenus intellectuels, de par l’ambition lexicale et littéraire des textes qu’il propose à la lecture des élèves. Ces observations rappellent a contrario combien la culture professionnelle des enseignants du primaire reste aujourd’hui fortement marquée par la thématique de la rénovation pédagogique des années 1970/80. L’apprentissage du déchiffrage est souvent vécu comme le « sale boulot » de l’enseignement de la lecture, comme un temps soustrait à l’essentiel, le travail sur la compréhension, dont les publics populaires sont estimés avoir un besoin prioritaire. Ce qui explique sans doute la diffusion si paradoxalement faible de la méthode syllabique dans les quartiers les plus défavorisés, comme nous l’avons constaté.”

Au delà de la question de l’apprentissage de la lecture, cette étude insiste sur la nécessité de maintenir des exigences scolaires élevées auprès des publics en difficulté afin notamment de lutter contre les inégalités scolaires et le creusement des écarts.

Voici les liens pour accéder au rapport et à la note de synthèse :

Note de synthèse :

http://www.uvsq.fr/medias/fichier/note-de-synthese-enquete-lecture_1384510510448-pdf

Rapport :

http://www.uvsq.fr/medias/fichier/rapport-enquete-lecture_1384503420148-pdf

Littérature jeunesse : L’Émeraude oubliée, tome 1 « L’Invasion »

La science-fiction n’est pas ma littérature de prédilection mais quand il s’agit de littérature jeunesse et quand c’est bien fait, j’accroche assez vite. C’est ce qu’il s’est passé pour ce premier tome de L’Émeraude oubliée, que je conseillerais dès 13 ans, éventuellement dès la 6ème ou la 5ème pour les bons lecteurs. Je me suis donc plongée dans cette histoire d’adolescents qui s’évadent de Mornia, ville sous le joug d’un dictateur et cloisonnée par un mur infranchissable, pour retrouver la vie à l’état sauvage, et j’ai hâte de pouvoir me mettre sous la dent le tome 2, tant je me demande si ces ados vont réussir leur second pari, après avoir mené à bien le premier, non sans péripéties !

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La structure et le fonctionnement de Mornia m’ont beaucoup rappelé le sublime film Métropolis avec son monde coupé en deux. J’ai trouvé l’idée de l’auteur, Lina Carmen, de créer ce monde vertical où les pauvres habitent les bas-fonds et les riches les hauteurs, assez pertinente. A de nombreuses reprises dans le livre d’ailleurs, on peut faire des ponts avec des sujets d’actualité brûlants. C’est peut-être un peu caricatural mais c’est le jeu de la science-fiction/littérature d’anticipation.

Voici ce que dit la quatrième de couverture :

Dans la sinistre ville de Mornia, à la végétation inexistante, seules des tours grises aux dimensions célestes s’élèvent des hauteurs indistinctes. Un mur infranchissable empêche toute sortie de cette prison qui ne dit pas son nom, gouvernée par un dictateur, le Président Percy.
Les plus riches vivent en haut des tours, dans un confort luxueux. Les plus pauvres vivent en bas, dans une brume permanente, le « smog » métropolitain.
Yan, un garçon de 15 ans, est l’un de ces indigents dont le destin est de finir ouvrier dans une usine, comme son père et son grand-père. Mais il rêve d’une autre vie. Peut-être là-haut, chez les riches ? Ou bien ailleurs qu’à Mornia. Existe-t-il un autre monde que celui-ci ? Pour le savoir, il faudrait s’échapper. C’est alors que Yan rencontre Sonia, une jeune fille de son âge, issue des niveaux supérieurs, avec laquelle il va peut-être concrétiser ses rêves. L’évasion se prépare. Cependant, Percy et ses hommes sont prêts à tout pour faire échouer ce projet.

Je conseille la lecture de ce livre aux adolescents mais également à leurs parents (2 bonnes heures de lecture pour un adulte). J’ai pris un véritable plaisir à suivre les protagonistes dans leurs aventures et je me demande déjà combien de mois il faudra attendre avant le tome 2… Le tome 1 a, lui, paru au début du mois de février 2016 aux Editions LaBourdonnaye Jeunesse.

Lina Carmen, L’Emeraude oubliée, tome 1 « L’Evasion », Editions LaBourdonnaye Jeunnesse, 15,50 euros, 202 pages. 

Littérature jeunesse 9-11 ans : La Sixième de Susie Morgenstern

SI vous avez dans votre entourage un enfant qui entre en sixième, proposez lui la lecture de La Sixième de la fameuse Susie Morgenstern dans la chouette édition de L’Ecole des loisirs. On plonge avec délices dans la vie de cette petite fille qui passe le dur cap de l’école secondaire. Quitter la douceur du CM2 pour se confronter au tsunami qu’est l’entrée en sixième n’est pas de tout repos : ce livre accompagne dans le dédale des emplois du temps, des changements de professeurs à chaque heure, des nouveaux copains et des premiers crève-cœurs. Recommandé pour tout jeune lecteur qui vit cette étape incroyable et chaotique.

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Remarquez cependant que ça marche aussi si l’on est plus vieux : le plaisir qu’offre la littérature jeunesse est intact à trente ans…

Une petite quatrième de couverture pour vous encourager à lire ou faire lire ce classique jeunesse : 

C’est officiel Margot tient la lettre entre ses mains. Elle est admise en sixième au collège du Parc des Grands Pins. Enfin elle sera lycéenne, elle sera grande. D’abord les préparatifs. Il faut acheter le carnet de correspondance, se munir de photos d’identité, il faut des photocopies des certificats de vaccination. Enfin elle doit décider comment s’habiller pour ce premier jour. Sa soeur aînée est catégorique : jean et surtout pas de cartable ! Le premier jour arrive. Tout le monde avait un cartable et plein de filles étaient habillées en jupe ! Malgré cette déconvenue, Margot s’est retrouvée dûment insérée dans une classe et comme elle est pleine de bonne volonté et qu’elle rêve d’être populaire, elle est volontaire pour être déléguée de classe provisoire. Margot est consciencieuse, bonne élève, habitée par plein de bonnes intentions. Elle va devenir déléguée élue par la classe, et elle veut être responsable. Elle veut que sa classe chahuteuse et plutôt nulle devienne une classe exemplaire. Alors elle organise, elle entreprend. Mais rien ne marche comme prévu et les dépenses d’énergie se retournent souvent contre elle. Alors elle tempère. Un voyage à Rome de toutes les sixièmes renforce des amitiés. Puis une grève des profs providentielle fait vivre une belle journée à la sixième de Margot. Une journée où tous ensemble ils avaient vécu à leur goût.

Roman à partir de 09 ans.

« Notre besoin de consolation est impossible à rassasier » de Stig Dagerman

Ce livre court, très court (une dizaine de pages !) dont le manuscrit a été retrouvé en 1981, près de 30 ans après sa rédaction et le suicide de son auteur, est troublant de force et de vérité. Je l’ai relu par hasard alors qu’il était dans ma pile de livres à vendre lors de la dernière brocante à laquelle j’ai participé à Lyon. Un badaud s’arrêta, prit ce mini-livre entre ses mains et commença à en discuter avec moi. Il semblait lui trouver toutes les caractéristiques d’un chef-d’oeuvre alors que je m’en souvenais à peine. Quand il me demanda combien je le vendais, je lui avouais ne plus avoir très envie de m’en séparer. Il m’avait donné envie de le relire !

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Pour mieux vous en parler, j’ai choisi une série de citations émanant de Notre besoin de consolation est impossible à rassasier de Stig Dagerman, traduit du suédois par Philippe Bouquet, réédité chez Actes Sud. Bonne lecture…

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Anima, roman chef d’oeuvre de Wajdi Mouawad

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Je vous ai déjà parlé de Wajdi Mouawad. J’ai parlé de lui comme metteur en scène incroyable de Sophocle, puis comme dramaturge hors du commun en évoquant sur ce blog sa tétralogie théâtrale Le Sang des promesses. Je pensais en avoir fini avec son génie et voilà que je lis Anima, l’un de ses trois romans (Mouawad est moins prolifique dans l’écriture romanesque que théâtrale). Je ne saurais être suffisamment dithyrambique pour vous inciter à le lire.Usons plutôt de l’injonction : LISEZ ANIMA ! Vraiment. Il fera sans aucun doute partie des livres qui traversent les siècles, si prochains siècles il y a.

Voici ce que dit la quatrième de couverture, qui peut-être vous mettra l’eau à la bouche : 

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Blog en vacances et programme (déjà chargé !) de rentrée #teaser

Vous l’avez déjà remarqué : le blog prend sa pause estivale ! C’est les vacances et en plus je ne devrais pas tarder à accoucher, deux bonnes raisons de laisser ce petit espace de vie internetique en jachère. Qui plus est, alors que vous êtes en moyenne 150 par jour (MERCI !) à venir vous promener par ici tout au long de l’année, en juillet-août, c’est plutôt la débandade et les visiteurs ne sont plus qu’une poignée.

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Je reviens donc publier ici le 15 septembre ! Quelques billets sont d’ailleurs déjà prêts. Au programme ? Des papiers sur les trois sujets qui animent ce blog depuis quelques temps déjà : les chroniques de livres, la recherche en éducation et la création de matériel pédagogique pour les petits (et donc leurs parents) et pour les grands (ce qui s’apparente alors davantage à des ressources pour les profs de lettres en collège et lycée).

1) Les chroniques de livre : en septembre-octobre, pour bien commencer l’année,  je vais vous donner envie de lire Sylvain Tesson, Luz, Hafid Aggoune, Stig Dagerman, George Sand, de la littérature jeunesse, Modiano, des BD etc.

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2) Pour ceux qui sont intéressés par la recherche en sciences de l’éducation, on va encore parler de Montessori, mais de façon pointue, avec une série de 5 articles sur le livre fascinant qu’est celui de la scientifique Maria Montessori : L’Esprit absorbant de l’enfant. De quoi se poser pas mal de questions et de quoi se remettre en question… Avant le lancement d’un vrai travail de recherche universitaire en vue d’un mémoire et d’un doctorat que vous pourrez suivre de loin sur le blog.

3) Pour les parents qui voudraient des idées de DIY, on va construire des mobiles ici en septembre et en octobre, encore et encore, pour éveiller les sens des petits ; mais aussi des livres sensoriels. Je vous en reparle très vite.

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4) Et enfin pour les profs de lettres, ça va parler machine de grammaire (oui, je fais mon professeur géo-trouve-tout en ce moment en essayant d’inventer l’activité ludique pour apprendre la grammaire en cours d’AP) mais aussi programme de lettres avec séquences et progression annuelle (surtout pour les 6e et les 3e : les deux niveaux à qui je fais cours l’année prochaine!).

Vous savez tout !

Je vous donne rendez-vous en septembre et vous remercie d’être de plus en plus nombreux à me suivre sur Twitter et Instagram. Surtout active sur ce dernier réseau social, je vous encourage à m’y rejoindre pour suivre mes lectures de l’été.

Rendez-vous en septembre, bonnes lectures et bonnes vacances !

Les dix premiers livres de bébé #0à15mois

Enceinte, et acheteuse compulsive de bouquins, je me suis très vite posée la question des premiers livres à faire découvrir à un enfant quand celui-ci ne sait pas même… lire. Voici une sélection pour lui faire appréhender l’objet livre et partager ensemble les premières histoires :

1) Enfantines : jouer, parler avec le bébé, Bruley et Dumas, L’école des loisirs, 1996

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Tout petit, le bébé découvre le langage, les mots, son corps et le monde. Les mains sont un instrument d’appréhension formidable et les doigts forment à eux seuls une famille: «Le poucelot, le lèchepot, le longi, le malappris, le petit doigt du paradis!». Les «enfantines» – mot inventé par les auteurs – désignent ce patrimoine vivant, transmis oralement à travers des générations. Présentées en recueil, avec leurs variantes et leurs correspondances gestuelles ou musicales, ces formules gagnent encore en fantaisie grâce aux illustrations de Philippe Dumas. Un excellent florilège pour agrandir son répertoire de badinage avec les tout-petits.

2) Le premier livre de bébé, Gyo Fujikawa, Gautier-Languereau, 2001.

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Les bébés sont parfois des anges, parfois des diablotins, mais avant tout, ils ont besoin de baisers et de calins ! Un livre longtemps indisponible qui ravira les grands et les petits.

3) Ça va mieux !, Histoires de bébé, Jeanne Ashbé, Pastel, L’Ecole des loisirs, 2000. 

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Une série de six petits livres à regarder, à écouter et à sentir avec le tout-petit… Des livres qui racontent les bébés. Des livres qui rencontrent les bébés. Des livres qui parlent de la vie de tous les jours: les mots qui racontent les émotions partagées, les rires et les larmes… Dans la même série : Bonjour! – Au revoir! – On ne peut pas! -Tout barbouillé! – Coucou!

4) Je vois, Helen Oxenbury, Albin Michel jeunesse, 1999 / Je peux, Helen Oxenbury, Albin Michel jeunesse, 2000 / Je touche, Helen Oxenbury, Albin Michel jeunesse, 1999

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Le bébé découvre tous les jours de nouvelles sensations, et dans ces livres un merveilleux bambin nous entraîne dans ses explorations : Voir, Pouvoir, Toucher,etc.

5) La chenille qui fait des trous, Eric Carle, Mijade, 2004

Cette petite chenille passe son temps à manger et au bout d’une semaine, elle est devenue énorme. Mais le papillon qu’elle sera aura toutes les couleurs de ses festins. Cet album permet aussi à l’enfant d’apprendre les premiers chiffres puisque le nombre de trous par feuille va croissant.

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6) Les animaux de la ferme, François Delebecque, Les Grandes Personnes, 2010

Veau, vache, cochon, il faut soulever les volets pour découvrir sous les silhouettes les animaux de la ferme.

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7) Les Prélivres, Bruno Munari, Cera Nrs, 2000 (12 volumes)

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Les Prélivres de Munari est un ensemble de 12 petits livres (115 euros le coffret environ). Ce sont douze petits livres carrés de 10 x 10 cm en papier, carton, bois, étoffe, plastique, rassemblés dans un coffret-bibliothèque. Chacun a une reliure différente et met en scène une surprise…. Le prix est conséquent mais le concept est parfait ! Munari n’est autre que l’rtiste plasticien italien, inventeur du premier mobile du nouveau-né cher à Maria Montessori. (D’autres livres de munari en position 8 et 9 de ma sélection).

Je suis très intriguée par ce coffret que j’aimerais beaucoup avoir en main et découvrir… Vais-je investir ou non…

8) Bonne nuit à tousBruno Munari, Le Seuil, 2006

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9) Toc, toc, Bruno Munari, Le Seuil, 2004

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10): Petit musée, Alain Le Saux et Grégoire Solotareff, L’école des loisirs,2005

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149 mots, d’Aigle à Zèbre, illustrés par les détails de 149 tableaux de grands peintres, de Jérome Bosch à Picasso : Ce livre est peut-être un peu élaboré pour des tout-petits…. mais après tout, pourquoi pas ? Et puis, ça fera plaisir à l’adulte qui lit !

SHORT, numéro 12 : Revue de littérature courte et site communautaire

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Je ne connaissais pas Short Edition, une maison grenobloise et novatrice. C’est Babelio qui me l’a fait découvrir en m’envoyant le numéro 12 de la revue SHORT. J’observe d’abord un peu sceptique ce qui ne s’apparente ni totalement à un roman (ça en a pourtant l’aspect) ni totalement à une revue (ça en porte pourtant le nom). Sur la première de couverture, 4 colonnes intitulées pour chacune d’elles : NouvellesBD courtes, PoèmesTrès très courts. Puis, en dessous de chaque colonne, un temps de lecture estimé : 6 à 20 minutes pour les nouvelles, 1 à 3 minutes pour les BD, 1 à 2 minutes pour les poèmes, 1 à 5 minutes pour les « très très courts ». Amusant, non ?

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A l’intérieur, on découvre des auteurs et des illustrateurs normalement encore totalement inconnus, on plonge dans leurs histoires, on aime ou pas, on peut picorer, lire tous les poèmes d’un coup, puis toutes les BD, puis tous les très très courts, etc ; ou bien s’en tenir à une rigueur absolue en commençant par le début et finissant par la fin… Les écritures sont variées, les styles ne se valent pas  mais ça aussi, c’est assez agréable car tout reste très correctement écrit. Et il y a des pépites…

Idéal pour les gros lecteurs qui ont envie de se délasser avec de la littérature courte, ou au contraire pour ceux qui ont du mal à se jeter dans les livres et à y rester concentrés, qui trouveront ici une forme de littérature qui leur conviendra davantage.

A noter aussi, le site de la maison d’édition Short : super bien foutu, consacré à la littérature courte donc, et communautaire ! Qui veut poster ses nouvelles, ses poèmes ou ses BD s’inscrit facilement puis s’expose à la communauté de lecteurs. Le nombre de lectures pour chaque contribution est indiqué, les gens peuvent voter pour vos œuvres et la maison d’édition éventuellement décider de vous publier.

J’apprécie aussi le côté totalement clair et simple d’utilisation du site, les codes couleurs, l’aspect ludique. Bref, je suis conquise à la fois par la revue qui je crois est trimestrielle (et qui ne coûte que 12 euros) et par le site internet, concept idéal pour les écrivains et les lecteurs de littérature et BD courtes.

Vraiment, allez vous promener sur leur site qui vaut le détour…

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En finir avec Eddy Bellegueule, premier roman d’Edouard Louis

Si l’on choisit la team Proust et que l’on oublie Sainte-Beuve, si l’on ne parle donc que du roman, de la fiction, En finir avec Eddy Bellegueule est un livre qui vaut qu’on s’y attarde. On y raconte l’histoire d’un jeune homme homosexuel forcé de se construire dans un milieu populaire et ouvrier du nord de la France. Subissant la violence physique de ses camarades à l’école, la violence morale de sa famille et de ses proches le reste du temps, Eddy Bellegueule se sent et se sait différent, sexuellement évidemment mais socialement également. Il veut s’élever. Il choisira l’ascenseur social qu’est encore souvent l’école pour y parvenir. Ce livre raconte le combat de ce petit garçon, son parcours chaotique, de la petite enfance jusqu’à son arrivée dans un lycée de grande ville grâce au choix d’une option théâtre salvatrice mais où il découvre encore que rien n’est gagné…

Il s’agit du premier roman d’Edouard Louis, actuellement élève à l’ENA à Paris, loin de ce milieu picard qu’il dépeint sans tendresse, milieu d’alcooliques, de chômeurs, d’ignares violents, racistes et homophobes. L’écriture est fluide, le lecteur désire très vite savoir si le personnage principal parviendra à s’extirper de cette famille bancale, la description du milieu social interpelle mais elle est chirurgicale : pas d’émotions de la part du narrateur dont on ne sait finalement pas grand chose hormis qu’il prend des coups parce qu’il est homo. Cette froideur, ce mépris distant agacent le lecteur qui voudrait percer la carapace de ce personnage très « nouveau roman ». S’il s’agit d’une sorte de roman d’apprentissage, alors le narrateur est bien trop glacial. L’auteur lui refuse toute psychologie à la faveur de la fresque sociale.

Et c’est bien cette fresque sociale qui a fait parler de ce livre. Il est en effet difficile d’être tombé sur ce roman par hasard sans avoir eu vent de la polémique sainte-beuvienne qui a suivi sa parution : l’auteur, Edouard Louis, affirme et assume le côté « autobiographique » de son roman et c’est la catastrophe. Les journalistes courent interviewer la famille qui se dit démolit par la lecture du livre, qui « ne comprend pas », et voilà qu’on sort de la littérature pour entrer dans le témoignage.

C’est vrai qu’il y a de nombreuses scènes fortes, frappantes, voire choquantes dans le roman. Certaines où le lecteur souffre avec le personnage principal (lorsque ses petits camarades de classe lui demandent de lécher les mollards qu’ils viennent de lui cracher au visage par exemple), d’autres où le lecteur comprend le désarroi des parents (quand la mère découvre la pratique régulière de la sodomie, comme un jeu, entre les enfants), d’autres enfin où le lecteur, connaissant le caractère autobiographique du livre, est choqué par la violence du jugement que l’auteur porte à ses parents. Il existe en effet plusieurs scènes où l’amour des parents pour le jeune garçon transparaît, où il apparaît parfois avec force, mais la réaction du jeune homme est alors toujours le mépris, voire la révulsion. Je pense notamment à cette scène où le père verbalise son amour en lui disant ces mots, je t’aime, que le fils rejette en bloc, expliquant le dégoût pour son père ressenti alors. En raison de la polémique, le lecteur ne peut s’empêcher de mélanger auteur, narrateur, personnage et le livre perd de sa force. S’il y a écrit « roman » sur la couverture, comme c’est le cas ici, alors tout devrait être dit.

Avis rapide : Roman fluide, aux thèmes zolaesques, qui se lit avec intérêt, notamment pour la description du milieu social ouvrier et pour le destin de ce jeune garçon homosexuel ; mais roman qui manque de nuances et donc de force, notamment parce que la psychologie du personnage principal a peu de profondeur. Sorte de roman d’apprentissage. Autofiction. Auteur âgé de 21 ans. Sélection prix Goncourt du premier roman 2014. Démarche autobiographique et sociologique intéressante.

Edouard Louis

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Quatrième de couv’ : « Je suis parti en courant, tout à coup. Juste le temps d’entendre ma mère dire Qu’est-ce qui fait le débile là? Je ne voulais pas rester à leur côté, je refusais de partager ce moment avec eux. J’étais déjà loin, je n’appartenais plus à leur monde désormais, la lettre le disait. Je suis allé dans les champs et j’ai marché une bonne partie de la nuit, la fraîcheur du Nord, les chemins de terre, l’odeur de colza, très forte à ce moment de l’année. Toute la nuit fut consacrée à l’élaboration de ma nouvelle vie loin d’ici ». En vérité, l’insurrection contre mes parents, contre la pauvreté, contre ma classe sociale, son racisme, sa violence, ses habitudes, n’a été que seconde. Car avant de m’insurger contre le monde de mon enfance, c’est le monde de mon enfance qui s’est insurgé contre moi. Très vite j’ai été pour ma famille et les autres une source de honte, et même de dégoût. Je n’ai pas eu d’autre choix que de prendre la fuite. Ce livre est une tentative pour comprendre.

L’Univers farfelu d’André Malraux

On sait généralement d’André Malraux qu’il a été ministre de la culture sous De Gaulle entre 1959 et 1969, on sait qu’il a écrit La condition humaine (encore un livre qu’il me faut lire !) ; mais on sait moins combien il était autodidacte, libre, résistant, grand mythomane aussi (rappelons-nous cette phrase de La Condition humaine qui explique un peu les affabulations de Malraux : « Ce n’était ni vrai, ni faux, c’était vécu »). On sait moins combien il était artiste, un artiste complet, de la plume au crayon : un dessinateur gribouilleur de génie. Je l’ai découvert en tombant par hasard, à Lille, sur un livre qui n’a pas fait grand bruit mais dont la belle physionomie a attiré mon attention.

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Préfacé par la seconde femme de Malraux, Madeleine, qui n’était autre que la veuve du frère d’André, et par son neveu, Alain Malraux, ce livre poétique mélange citations, poèmes, dessins et croquis du grand écrivain. C’est là qu’on découvre combien le trait de Malraux est subtile, post-surréaliste, combien il emmène en voyage.

C’est un beau livre qui se lit moins qu’il ne se regarde, presqu’un livre d’images dans lequel on pioche et à partir duquel on laisse son esprit vagabonder à travers les 200 croquis-dessins inédits de Malraux.

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L’univers farfelu d’André Malraux