Apprendre la lecture aux élèves en difficulté : plus les textes sont complexes mieux ça marche !

Une recherche de J. Deauviau portant évaluation des méthodes et manuels de lecture pour le CP vient a été réalisée il y a 2 ans par un labo du CNRS. Les résultats et les enseignements inédits de cette enquête méritent l’attention. Contrairement à ce que l’on pourrait penser instinctivement : plus les textes sont complexes, mieux l’enfant intègre la lecture.

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La conclusion de la note de synthèse est très parlante :

“On remarque conjointement qu’à l’inverse d’un présupposé pédagogique très répandu le manuel qui se révèle le plus efficient avec les élèves des milieux les plus défavorisés est aussi le plus exigeant non seulement dans l’apprentissage technique du code, mais aussi dans ses contenus intellectuels, de par l’ambition lexicale et littéraire des textes qu’il propose à la lecture des élèves. Ces observations rappellent a contrario combien la culture professionnelle des enseignants du primaire reste aujourd’hui fortement marquée par la thématique de la rénovation pédagogique des années 1970/80. L’apprentissage du déchiffrage est souvent vécu comme le « sale boulot » de l’enseignement de la lecture, comme un temps soustrait à l’essentiel, le travail sur la compréhension, dont les publics populaires sont estimés avoir un besoin prioritaire. Ce qui explique sans doute la diffusion si paradoxalement faible de la méthode syllabique dans les quartiers les plus défavorisés, comme nous l’avons constaté.”

Au delà de la question de l’apprentissage de la lecture, cette étude insiste sur la nécessité de maintenir des exigences scolaires élevées auprès des publics en difficulté afin notamment de lutter contre les inégalités scolaires et le creusement des écarts.

Voici les liens pour accéder au rapport et à la note de synthèse :

Note de synthèse :

http://www.uvsq.fr/medias/fichier/note-de-synthese-enquete-lecture_1384510510448-pdf

Rapport :

http://www.uvsq.fr/medias/fichier/rapport-enquete-lecture_1384503420148-pdf

La meilleure BD de tous les temps : Julius Corentin Acquefacques, prisonnier des rêves — Tome 5 : “La 2,333e dimension” de Marc-Antoine Mathieu

Mon titre n’est pas très objectif, et je m’y connais assez peu en BD (quoi que l’année 2016 promet d’être celle de la bande dessinée, je ne lis quasiment que cela depuis le début du mois de janvier…) mais j’ai suffisamment été estomaquée par cet ouvrage là pour titrer de façon aussi dithyrambique.

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Marc-Antoine Mathieu, je l’ai découvert quand j’avais une vingtaine d’année parce qu’une de ses BD traînait dans l’appartement dans lequel j’habitais alors. J’avais déjà trouvé ça grandiose. Récemment et sans avoir lu les 4 premiers tomes de la série du Prisonnier des rêves, j’ai acheté le cinquième chez mon petit libraire qui, exactement comme l’avait fait un ami très cher amoureux de BD, m’a présenté Marc-Antoine Mathieu comme… Dieu. Rien que ça.

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Après lecture, je suis assez d’accord. C’est brillant, à la fois en termes de graphisme ET de scénario. C’est barré aussi. Complètement hallucinant. Les images parlent d’elle-même :

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L’histoire, elle, n’a rien a envié aux perspectives et aux cases. Julius, fonctionnaire employé au ministère de l’humour d’une société pathétique vient de faire un mauvais rêve : celui où l’on rêve que l’on rêve. C’est un acte grave dans une société totalitaire comme celle de Julius Corentin Acquefacques. Mal rêver, c’est déjà dévier. Et voilà qu’en plus, cela a entraîné la perte d’un point de fuite ! Conséquence ? Le monde de Julius perd toute son épaisseur et les individus se retrouvent à devoir supporter la dimension 2,3333… Dimension minimale qui les séparent de l’invisibilité. Julius Acquefacques est alors désigné pour se rendre dans l’Inframonde (monde banni) pour tenter de récupérer un point de fuite et redonner de la dimension au monde.

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Par ailleurs, comme la cerise sur le gâteau, ce cinquième tome s’accompagne de lunettes 3D qu’il faut mettre sur son nez pour 4 ou 5 planches lorsque le personnage tombe dans une autre dimension. Comme c’est très bien fait, ça fonctionne : lire de la bande-dessinée 3D est une expérience assez fascinante.

Je ne saurais trop vous conseiller de vous procurer ce livre et de le lire. J’espère vous avoir donné l’eau à la bouche. Pour ma part, je lirai les 4 premiers tomes dès que l’occasion se présentera… Bonne découverte !

Littérature jeunesse 9-11 ans : La Sixième de Susie Morgenstern

SI vous avez dans votre entourage un enfant qui entre en sixième, proposez lui la lecture de La Sixième de la fameuse Susie Morgenstern dans la chouette édition de L’Ecole des loisirs. On plonge avec délices dans la vie de cette petite fille qui passe le dur cap de l’école secondaire. Quitter la douceur du CM2 pour se confronter au tsunami qu’est l’entrée en sixième n’est pas de tout repos : ce livre accompagne dans le dédale des emplois du temps, des changements de professeurs à chaque heure, des nouveaux copains et des premiers crève-cœurs. Recommandé pour tout jeune lecteur qui vit cette étape incroyable et chaotique.

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Remarquez cependant que ça marche aussi si l’on est plus vieux : le plaisir qu’offre la littérature jeunesse est intact à trente ans…

Une petite quatrième de couverture pour vous encourager à lire ou faire lire ce classique jeunesse : 

C’est officiel Margot tient la lettre entre ses mains. Elle est admise en sixième au collège du Parc des Grands Pins. Enfin elle sera lycéenne, elle sera grande. D’abord les préparatifs. Il faut acheter le carnet de correspondance, se munir de photos d’identité, il faut des photocopies des certificats de vaccination. Enfin elle doit décider comment s’habiller pour ce premier jour. Sa soeur aînée est catégorique : jean et surtout pas de cartable ! Le premier jour arrive. Tout le monde avait un cartable et plein de filles étaient habillées en jupe ! Malgré cette déconvenue, Margot s’est retrouvée dûment insérée dans une classe et comme elle est pleine de bonne volonté et qu’elle rêve d’être populaire, elle est volontaire pour être déléguée de classe provisoire. Margot est consciencieuse, bonne élève, habitée par plein de bonnes intentions. Elle va devenir déléguée élue par la classe, et elle veut être responsable. Elle veut que sa classe chahuteuse et plutôt nulle devienne une classe exemplaire. Alors elle organise, elle entreprend. Mais rien ne marche comme prévu et les dépenses d’énergie se retournent souvent contre elle. Alors elle tempère. Un voyage à Rome de toutes les sixièmes renforce des amitiés. Puis une grève des profs providentielle fait vivre une belle journée à la sixième de Margot. Une journée où tous ensemble ils avaient vécu à leur goût.

Roman à partir de 09 ans.

Les sciences cognitives et l’éducation : pour mieux répondre aux besoins des élèves

Depuis quelques années, les sciences cognitives font parler d’elle dans le monde de l’éducation. On s’intéresse de plus en plus à elles pour trouver des solutions aux plus gros problèmes de l’école, notamment les inégalités sociales et les difficultés d’apprentissage des élèves.

Assez fascinante parce qu’à la fois novatrice et en même temps évidente, cette approche interpelle : comment les sciences cognitives peuvent-elle aider l’école ? Mais d’abord, qu’est-ce que les sciences cognitives ?

Les sciences cognitives regroupent un ensemble de disciplines scientifiques dédiées à la description, l’explication, et la simulation des mécanismes de la pensée humaine, animale ou artificielle, et plus généralement de tout système complexe de traitement de l’information capable d’acquérir, conserver, utiliser et transmettre des connaissances. Les sciences cognitives reposent donc sur l’étude de phénomènes aussi divers que la perception, l’intelligence, le langage, le calcul, le raisonnement ou même la conscience.

On peut ranger dans les sciences cognitives les disciplines suivantes : Philosophie, Linguistique, Anthropologie, Neurosciences, Informatique et Psychologie.

Voilà pour une définition sommaire. La page wikipédia des sciences cognitives la développe davantage.

Le site des étudiants et chercheurs en sciences cognitives de Lyon explique assez clairement cette nouvelle discipline, ses tenants et ses aboutissants.

Enfin, les travaux de Stanislas Dehaene et ses conférences visibles en vidéo sur le site du Collège de France, font office de référence en la matière. Celui-ci fait d’ailleurs la remarque, au début d’un de ses colloques, et à l’attention des enseignants, qu’il est inadmissible de transmettre un savoir sans connaître le mode de fonctionnement du cerveau de l’enfant…

« Je pense qu’un bon enseignant est un enseignant qui a un bon modèle mental du cerveau de l’enfant. Il est stupéfiant de penser que beaucoup d’enseignants connaissent mieux le fonctionnement de leur voiture que celui du cerveau »…

Stanislas Dehaene remet en cause une partie de la formation enseignante et explique qu’il faut délimiter « ce qu’on ne peut pas ne pas savoir » sur le cerveau de l’enfant avant d’enseigner. Il est important de comprendre comment le cerveau est organisé pour enseigner certaines disciplines.

Nous avons tous une organisation cérébrale similaire et il faut en tenir compte : tous les enseignants doivent donc respecter certains principes fondamentaux (mais cela n’empêche pas d’inventer des pédagogies nouvelles évidemment). En d’autres termes, l’idée d’un cerveau d’enfant ressemblant à une page blanche que l’on va modeler est aujourd’hui complètement dépassée. Au contraire, on sait maintenant que dès la naissance, le cerveau de l’enfant est extrêmement organisé. Par ailleurs, des fondations existent depuis longtemps dans notre cerveau ! Nous héritons de notre évolution et l’enfant dispose donc d’intuitions non-conscientes, ce que Stanislas Dehaene appelle le « recyclage neuronal ».

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Ces fondations, les enseignants peuvent et doivent s’appuyer dessus pour transmettre. Stanislas Dehaene rappelle que chaque enseignant ne doit pas devenir un spécialiste des sciences cognitives mais que la connaissance de l’évolution du cerveau au moment de l’apprentissage de la lecture doit être connue de tous ceux qui l’enseignent. En effet, le cerveau de l’enfant se modifie lors de l’apprentissage de la lecture, on le voit en « photographiant » des cerveaux de personnes qui savent lire et d’autres qui ne savent pas : le « dessin » cérébral n’est pas le même. Cette idée développée par les sciences cognitives enterre donc la méthode globale très à la mode pour l’apprentissage de la lecture au profit de l’ancienne méthode syllabique ! La méthode globale empêche les fondations du cerveau de s’activer : elle complique l’apprentissage…

Par ailleurs, les sciences cognitives expliquent pourquoi les enfants écrivent toujours, au commencement, en miroir :

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Les sciences cognitives ont identifié 4 facteurs qui déterminent la vitesse et la facilité d’apprentissage :

  • PILIER 1 : L’attention. L’étude des limites de l’attention est intéressante et montre combien notre conscience est limitée dans certains cas. L’enseignant doit donc éviter les doubles tâches. Mais heureusement, l’attention se travaille ! Faire marcher un enfant sur une ligne (pratique des écoles Montessori) a des effets très importants sur la concentration ensuite !

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  • PILIER 2 : l’engagement actif : l’élève passif n’apprend pas…. Il faut alterner étude-test-correction.
  • PILIER 3 : le retour d’information : le test permet de voir l’erreur et de l’enregistrer (il faut une participation de l’élève à la correction sans ça, il ne corrige jamais ses erreurs).
  • PILIER 4 : Transfert de l’explicite vers l’implicite => de la conscience de l’apprentissage en cours à l’inconscience de l’amélioration de l’apprentissage : le sommeil est ici très important, grâce à lui l’apprentissage s’automatise (sauf chez les enfants dyslexiques).

J’ai été passionnée par cette vidéo de Stanislas Dehaene sur le site du Collège de France que j’ai tenté de résumer rapidement ci-dessus.

Stanislas Dehaene lui-même rappelle que les sciences cognitives sont à leur tout début et qu’il faut agir avec prudence :

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La méthode des écoles Montessori  s’inspire grandement des sciences cognitives, j’en reparlerai prochainement ici.

Haro sur les écrans #Paroles d’élèves

La semaine dernière, alors que je discutais avec l’une de mes élèves de seconde de sa très mauvaise note à un de mes devoirs sur table, celle-ci m’expliquait qu’elle n’avait pas lu le livre sur lequel le devoir portait, non pas par dégoût de la lecture mais pas manque de temps.

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Je cherchais donc à comprendre comment, à 15 ans, on peut manquer de temps pour lire… surtout si l’idée de lire ne nous est pas si désagréable que ça.

« Quand tu rentres du lycée, tu fais du sport ? Des activités particulières qui te prennent du temps et de la concentration ? », je lui ai donc demandé. « Non, m’a-t-elle répondu, pas spécialement ». « Mais alors tu fais quoi ? ». « Bah (tous les élèves de seconde commencent leur phrase par « bah ») je regarde la télé », m’a-t-elle expliquée la tête un peu basse, consciente que je n’allais pas trouver ça follement merveilleux. « Bon » j’ai dit pour contrer son « Bah », « Et avant de t’endormir ! Avant de t’endormir tu dois bien avoir le temps de lire ! » je me suis exclamée persuadée d’avoir trouvé la solution. « Bah…. Non, pas le temps ». « Mais enfin ! Quand j’avais ton âge je n’avais que ça à faire de lire avant de m’endormir ! Dix minutes tous les soirs ça suffit tu sais ! Dix minutes, ça n’est rien ! ». « Bah oui mais non Madame ». « Ah bon ? ». « Bah non, pas le temps ». « POURQUOI ? ». « Bah……….. j’ai ma tablette Madame ».

(Et bien sûr que non, la solution n’est pas de proposer des ebooks aux élèves, car en réalité le problème n’est pas la tablette mais Internet.)

Le droit de nous taire, selon Daniel Pennac

J’ai déjà parlé ici, il y a peu, de Comme un roman, livre du grand Daniel Pennac, lettre d’amour aux livres, à la littérature, aux professeurs et aux éléves. J’y reviens un peu pour coucher sur le web la totalité du dixième (et dernier) droit du lecteur qui vient clore le roman de Pennac. Je trouve qu’il y a tout (quand on veut parler de lecture), dans ce texte. On aurait pas pu mieux faire. Lisez plutôt :

« L’homme construit des maisons parce qu’il est vivant, mais il écrit des livres parce qu’il se sait mortel. Il habite en bande parce qu’il est grégaire, mais il lit parce qu’il se sait seul. Cette lecture lui est une compagnie qui ne prend la place d’aucune autre, mais qu’aucune autre compagnie ne saurait remplacer. Elle ne lui offre aucune explication définitive sur son destin mais tisse un réseau serré de connivences entre la vie et lui. Infimes et secrètes connivences qui disent le paradoxal bonheur de vivre alors même qu’elles éclairent l’absurdité tragique de la vie. En sorte que nos raisons de lire sont aussi étranges que nos raisons de vivre. Et nul n’est mandaté pour nous réclamer de comptes sur cette intimité-là. 

Les rares adultes qui m’ont donné à lire se sont toujours effacés devant les livres et se sont bien gardés de me demander ce que j’y avais compris. A ceux là, bien entendu, je parlais de mes lectures. Vivants ou morts, je leur donne ces pages. »