Réforme de l’éducation en Finlande : remplacer les matières par des thèmes au lycée

drapeau-finlande

Le système éducatif finlandais est considéré comme l’un des meilleurs au monde. Il est toujours dans le top dix des classements. Pourtant, les autorités finlandaises ont décidé de réaliser une véritable révolution dans leur système scolaire. Les finlandais veulent supprimer les matières scolaires. Il n’y aura plus de cours en physique, en mathématiques, en littérature, en histoire ou en géographie. Le responsable du Département de l’éducation à Helsinki, Marjo Kyllonen, explique les changements: « Il y a des écoles qui enseignent à l’ancienne, ce qui a été bénéfique au début des années 1900 – mais les besoins ne sont pas les mêmes, et nous avons besoin de quelque chose de bon pour le 21ème siècle. »

Au lieu des sujets individuels, les élèves étudieront des événements et des phénomènes dans un format interdisciplinaire. Exemple: la deuxième guerre mondiale sera examinée du point de vue de l’histoire, de la géographie et des mathématiques. Pour le cours «Travailler dans un café», les étudiants vont absorber un ensemble de connaissances sur la langue anglaise, l’économie et les compétences en communication.

Ce système sera introduit pour les élèves de 16 ans et plus. Les élèves doivent choisir eux-mêmes quel sujet ou phénomène ils veulent étudier, en gardant à l’esprit leurs ambitions pour l’avenir et leurs capacités. De cette façon, les étudiants devront passer par un cours entier tout en se posant la question «Qu’est-ce que je dois savoir pour cela? ».

Le format traditionnel de la communication enseignant-élève va aussi changer. Les élèves ne seront plus assis derrière les pupitres en attendant avec impatience d’être appelés à répondre à une question. Au lieu de cela, ils travailleront ensemble en petits groupes pour discuter des problèmes. La réforme de l’école nécessitera une grande coopération entre les enseignants de différents sujets.

Près de 70% des enseignants ont déjà entrepris des travaux préparatoires pour la mise en place du nouveau système, qui sera déployé d’ici à 2020, et obtiendront en conséquence une augmentation de salaires.

Pour en savoir plus: http://www.strat-up.com/Finlande/reforme-scolaire-finlande.pptx

 

Entre les pédagos et les trados, des profs inventifs

Sur Twitter se cristallise une haine entre ceux qui se déclarent des pédagogues, investis dans les recherches en sciences de l’éducation, surnommés « pédagogo » par leurs ennemis ; et ceux qui se sont fait appeler « les anonymes consternants » parce qu’ils utilisaient toujours des surnoms quand ils invectivaient et insultaient les premiers. Ambiance… Quand on n’entre pas dans l’arène et que l’on observe de loin, même en étant prof soi-même, c’est accablant de ridicule et d’idéologies. D’autant que les arguments des uns et des autres manquent de clairvoyance et de pertinence. Pourquoi l’un exclurait l’autre ? Pourquoi vouloir penser la pédagogie, essayer d’autres méthodes, empêcherait de défendre une école sérieuse qui promulguerait des savoirs pointus ?

thumbs_4868.jpg

J’effectue des recherches en sciences de l’éducation et me questionne régulièrement sur ma pratique, j’aime tester les pédagogies à la mode et les concepts nouveaux mais cela ne m’empêche pas d’apprécier le travail du collectif Sauver les lettres qui défend le retour à un niveau d’enseignement de la langue française plus élevé et élitiste (sans être moins inégalitaire). Il ne me semble pas inconséquent d’avoir un pied de chaque côté. Pourtant, on dit bien que l’association Sauver les lettres exècre le travail des pédagogues comme Philippe Meirieu et dénonce la promotion chez l’élève des activités, du savoir-être, au détriment des contenus des cours…. Pourquoi opposer les deux ? Si on le fait, on tombe forcement dans l’idéologie.

Pédagos contre partisans des vieilles méthodes : l’opposition caricaturale continue donc de jouer à plein, dans les médias comme à chaque conflit sur les programmes. D’un côté, ceux qui réfléchissent aux modes d’apprentissage des enfants qui iraient forcément dans le sens du constructivisme et des raisonnements inductifs ; de l’autre, ceux qui calquent les pratiques du passé. La réalité est plus contrastée. Les recherches pédagogiques sont diverses, et ne correspondent que rarement à un clivage idéologique. Il y a, bien sûr, les écoles Montessori, la pédagogie Freinet, les mouvements pour  » l’éducation nouvelle », dont se réclament tous ceux qui voient surtout dans la pédagogie la part de découverte par l’élève et la confrontation à des « situations-problèmes » (ce qui réduit singulièrement l’héritage des grands pédagogues). Mais il existe aujourd’hui nombre de professeurs qui s’interrogent sur leurs pratiques et sur les moyens de transmettre le savoir.

Le Grip, Groupe de réflexion interdisciplinaire sur les programmes, fait partie de ces associations qui entendent réfléchir à la pédagogie sans pour autant accepter les modes et les dogmes. Qualifié de  » groupuscule extrémiste  » par un inspecteur qui n’aime pas toutes les réflexions en éducation et que son devoir de réserve ne paralyse apparemment pas, le Grip fut fondé, en 2003, par des enseignants qui espéraient avoir un mot à dire dans le grand débat sur l’école lancé par Jacques Chirac. Passant au crible les programmes scolaires, ils ont depuis lancé un projet baptisé Slecc, qui compte aujourd’hui une vingtaine de classes en France. Le projet Slecc, Savoir lire, écrire, compter, calculer, est un projet expérimental.

Lire la suite

Summerhill : l’aventure  d’une école autogérée

 

A.S. Neill, psychanalyste et fondateur de Summerhill explique, alors qu’il écrit ce qu’il pense être son dernier livre Libres enfants de Summerhill, en 1960, qu’on ne connaît encore rien de la psychologie de l’enfant qui est une science alors neuve. Educateur, il s’est concentré toute sa vie sur la psychologie infantile et, malgré des années intensives de travail dans ce domaine, il admet connaître peu de choses. « Je suis certain toutefois que ceux qui ne s’occupent que de leurs propres enfants en connaissent moins que moi »[1]. Il explique que « c’est parce que [il] croit que l’enfant difficile est presque toujours amené à l’être par les insuffisances de son milieu familial que [il se] permet de [s’]adresser aux parents »[2]. La psychologie a pour but la guérison du mal de l’âme, l’âme voulant dire ici le siège des émotions. Par une éducation saine, selon A.S. Neill, on peut enrayer le mal. « A summerhill, les enfants sont guéris de ce mal de l’âme et ils sont élevés dans la joie »[3].

summerhill-school-home (1)

L’idée fondamentale de Summerhill

Fondée en 1921 à 160 kilomètres de Londres, dans un village, cette école accueille (elle existe toujours) des élèves entre 5 et 16 ans. La plupart du temps, à l’époque de Neill, il y a 25 garçons et 25 filles. Les enfants sont divisés en trois groupes selon leur âge. Les petits de 5 à 7 ans, les moyens de 8 à 10 ans et les grands de 11 à 15 ans. Diverses nationalités s’y retrouvent. Les élèves sont logés sur place, par groupe d’âge, en général à plusieurs par chambres. Aucune inspection de chambre n’est prévue, personne ne range leurs affaires, ils portent les vêtements qu’ils souhaitent porter.

« Il est évident qu’une école où l’on force des enfants actifs à s’asseoir devant des pupitres pour étudier des matières inutiles est une mauvaise école. Une telle école n’est bonne que pour ceux qui croient à son efficacité, c’est-à-dire pour ces citoyens sans imagination qui veulent des enfants dociles, dénués eux aussi d’imagination et qui s’accommoderont d’une civilisation dont l’argent est la marque du succès. Summerhill a débuté un peu comme une expérience. Mais elle n’en est plus là; elle en est maintenant au stade de la démonstration, car elle a prouvé que l’éducation dans la liberté réussit. Lorsque nous avons ouvert l’école, nous avions, ma première femme et moi, une vision fondamentale : celle d’une école qui serve les besoins de l’enfant – plutôt que l’inverse. J’avais enseigné pendant bien des années dans des écoles traditionnelles. J’en connaissais donc la philosophie et je savais qu’elle était mauvaise. Elle était mauvaise parce que fondée sur une conception adulte de ce que l’enfant doit être et doit apprendre. Elle datait du temps où la psychologie était encore une science inconnue. Nous décidâmes donc, ma femme et moi, d’avoir une école où nous accorderions aux élèves la liberté d’expression. Pour cela il nous fallait renoncer à toute discipline, toute direction, toute suggestion, toute morale préconçue, toute instruction religieuse quelle qu’elle soit. Certains dirent que nous étions très courageux, mais en vérité nous n’avions pas besoin de courage. Ce dont nous avions besoin, nous l’avions: une croyance absolue dans le fait que l’enfant n’est pas mauvais, mais bon. Depuis presque quarante ans maintenant cette croyance n’a pas changé, elle est devenue une profession de foi. Je crois intimement que l’enfant est naturellement sagace et réaliste et que, laissé en liberté, loin de toute suggestion adulte, il peut se développer aussi complètement que ses capacités naturelles le lui permettent. Fidèle à cette logique, Summerhill reste un lieu où ceux qui ont les capacités naturelles et la volonté nécessaire pour devenir savants le deviendront, alors que ceux qui n’ont de capacités que pour balayer les rues les balaieront. Mais, à ce jour, nous n’avons produit aucun balayeur de rues. Cette dernière remarque est d’ailleurs dénuée de tout snobisme, car je préférerais voir sortir de nos écoles d’heureux balayeurs de rues que des savants névrosés. »[4]

A quoi ressemble Summerhill ?

Lire la suite

Réflexions sur l’école : Des contemporains qui l’accusent, de la réalité, de la possibilité d’enseigner le français en collège et lycée à partir des très à la mode « pédagogies nouvelles » et des classes sociales…

L’école m’a construite, en partie. Tout du moins, elle m’a appris ce que je sais. Je suis totalement en adéquation avec ce qu’on appelle à tort les nouvelles pédagogies, c’est-à-dire les pédagogies Montessori, Freinet et Steiner, très, très à la mode aujourd’hui. Le hic, c’est que j’ai l’impression que ces deux affirmatives s’opposent, qu’elles ne peuvent pas cohabiter. On ne peut pas aimer l’école, la respecter surtout ET défendre les pédagogies dites nouvelles. Ça, ça fout le bordel dans mon esprit de prof. Je sais que le système scolaire est bancal, la faute, entre autres, à la démocratisation (massification) de l’accès à l’enseignement dans les années 60 sans changement majeur de l’organisation dudit système. Le système scolaire doit donc certes être modifié mais comment fait-on cela si la majorité des parents pensent profondément que l’école fait la misère à leurs enfants ?

Ces derniers mois j’ai entendu de nombreuses réflexions sur l’enseignement français public, nauséabondes ou naïves, mais toujours négatives. La nounou de ma fille, 5 enfants, un mari au chômage, un seul salaire d’assistante maternelle à la maison, de confession musulmane : « Moi j’ai mis les deux derniers dans le privé.

– Le privé catholique ?

-Oui. 

– Mais pourquoi ?

-Dans le public, ça se passait pas bien dans le quartier.

-Ah bon, trop d’enfants en difficulté ? difficiles ?

-Non, c’était les profs.

-Enfin, bon, ce sont les mêmes profs dans le privé et le public. On est tous gérés par le même ministère, payés par les mêmes services, on a passé le même concours, suivi les mêmes formations.

-Ah peut-être ! Mais c’est pas pareil !

-M’enfin, pourquoi ?

-Bah dans le privé les profs s’investissent plus (moue et tête qui se balance d’avant en arrière pour appuyer ses propos).

-Vous êtes sûre ? (ton ironique parce que bon elle connaît mon métier…)

-Bien sûr ! C’est certain. Les profs du privé sont plus motivés. Ils s’investissent vraiment eux.

Je n’ai pas changé de nounou, j’ai arrêté de parler de l’Education Nationale avec elle. Une copine inscrit quant à elle ses enfants à la rentrée dans une école alternative qui pratique les pédagogies « nouvelles ». Dans l’absolu, j’approuve. Pourquoi pas. Elle peut se le permettre financièrement. Sa fille est une très bonne élève. Je ne connais pas le rapport qu’a son fils à l’école. Mais je me demande encore ce qui a provoqué cette réflexion chez elle : « Depuis que j’ai validé leur inscription pour septembre prochain, je suis soulagée, je sais qu’ils ne seront pas cassés par l’école ». Cassés, putain. Franchement, entendre ça quand on est prof… Evidemment elle a précisé sans que je ne lui demande rien qu’elle trouvait le travail des profs dans l’ensemble parfait mais que le système, le carcan du système, lui posait problème. « Les profs font ce qu’ils peuvent ». Ouais.

Une amie a inscrit sa fille dans une école privée parce que là où elle habite, « les écoles ont vraiment mauvaises réputations ». Je travaille en REP, j’ai bossé en REP+, je comprends son raisonnement. Cependant elle s’en félicite : « C’est mieux ». Mais en quoi ? « Ils sont moins par classe ». Après vérification, c’est faux. Ils sont autant par classe dans cette école que dans une école primaire publique classique. « Ils font plus de choses ». Bon. Enfin, ça, ça dépend du prof. Et on est de nouveau à deux doigts de dire que les profs du privé sont « plus investis, et blablabla » (je rappelle à ceux qui ont sauté des lignes que les profs du privé et du public ont les mêmes formations, diplômes, ont passé les mêmes concours…etc.).

Cracher sur l’école publique, c’est devenu la doxa. Malheureusement, ce discours là est anxiogène, contreproductif. Je n’enseigne pas depuis longtemps. Je ferai ma sixième rentrée dans le public en septembre. Cependant, hormis les profs en fin de carrière qui n’en peuvent plus (mais c’est la même dans tous les corps de métier non ? ), je n’ai croisé que des profs motivés, désireux de donner le plus, de déclencher quelque chose, n’importe quoi, dans l’œil de leur élève, de transmettre, d’encourager, de construire. Si vous saviez le nombre de projets qui se montent chaque année, si vous saviez le temps passé parfois sur un cours d’une heure par la majorité des professeurs, etc., etc.

Connaissez-vous la première raison qui pousse ma copine à inscrire ses enfants dans une école alternative pour ne pas qu’ils soient « cassés » ? Savez-vous pourquoi mon amie est contente d’avoir finalement choisi le privé pour sa fille au lieu des deux établissements voisins qui avaient mauvaises réputations ? Savez-vous ce qui a poussé ma nounou à se saigner pour mettre ses deux derniers dans le privé ? Le public. Pas l’école publique. Le public de l’école. Sa  fréquentation. Bah ouais, rien d’autre. Je ne leur jette pas la pierre, je l’ai déjà dit, j’enseigne actuellement en REP, j’ai enseigné en REP+ et la première chose que j’ai faite lorsqu’on a acheté notre future maison, c’est de vérifier que le collège et le lycée de secteur étaient bien classés. C’est le cas, ouf. J’ai entendu une autre de mes amies, elle a 4 enfants, dire récemment que ses 4 enfants avaient été scolarisés à l’école publique de la maternelle au lycée et qu’elle avait été ravie, vraiment ravie, de l’éducation qu’ils avaient reçue. La différence entre elle et les 3 autres dont je vous ai précédemment parlé ? Le quartier. La dernière habite le quartier le plus bobo des quartiers lyonnais. Je ne dis pas qu’elle aurait fait autrement si elle avait habité dans le 8ème, à côté de Longchanbon (pour un prof de la région, le collège Longchanbon, c’est un peu la porte de l’Enfer), je dis juste qu’elle n’a pas eu à se poser la question.

Et donc, CQFD. Ceux qui distillent leur haine du système scolaire se trompent : c’est la diversité qu’ils détestent, la possibilité pour leurs enfants de se retrouver en classe avec des gamins qui ne savent pas lire ou écrire parce que leurs parents sont analphabètes, qui ne savent communiquer qu’en insultant parce que c’est comme cela qu’on leur parle à la maison, qui ne savent pas se concentrer ou apprendre parce qu’on les a trop désaxés à tous les autres niveaux cognitifs. Il faut donc appeler un chat un chat. Le système scolaire n’a rien à voir là-dedans. A ce niveau là, la seule chose qu’on peut lui reprocher, au système scolaire, c’est d’accentuer les ghettos pour sauver les bobos en créant des collèges REP et REP+.

Et donc les nouvelles pédagogies

Après, il y a tous ceux qui hurlent qu’on enseigne pas dans le bon sens et que insérer du Montessori dans toutes les écoles de France sauverait le fameux système. Ceux là me font douter parce que je crois qu’il est dangereux de jeter le bébé avec l’eau du bain. Bien sûr la méthode Montessori est une merveille, bien sûr il faut s’en servir. M’enfin, quand on regarde de plus près, on voit bien qu’il est possible d’en injecter les bases, les racines pour que l’arbre pousse sans tout péter au passage. D’ailleurs, bons nombres d’instituteurs s’inspirent déjà beaucoup de ces méthodes. De plus, ces méthodes de pédagogies nouvelles, si elles sont parfaitement adaptées à la maternelle et au primaire, me semblent perdre de leur pertinence dès qu’il s’agit du collège et du lycée. Un exemple concret : l’enseignement du français avec Montessori au collège et au lycée. Je trouve sur internet un papier d’une formatrice Montessori et chef d’établissement d’une école, collège et lycée montessori qui explique ce que c’est l’enseignement du français dans le secondaire avec cette méthode. Je me dis « Chouette », je vais enfin voir comment cette révolution montéssorienne se déplace jusqu’au lycée. Bon. Voici un extrait de cet article où c’est la prof de français (agrégée de lettres) qui s’exprime :

« Au collège et en seconde, l’objectif est donc de donner un goût pour la matière, un goût pour la vie, et non uniquement dans la perspective d’un examen. Nous travaillons donc sur trois plans :

Le partage – Chaque semaine, un élève présente un « personnage » de fiction. Lire un livre, c’est avant tout rencontrer un univers et des individus de papier. Les raconter aux autres, c’est donner un peu de soi. Pour ceux qui ne lisent pas ou peu, on peut également utiliser un personnage de cinéma, de jeux vidéo, ou même un personnage inventé. L’essentiel est de dessiner les contours d’un espace narratif.

Le cinéma – Nous regardons de très nombreux films, toujours proposés dans le cadre d’une thématique précise. Les élèves doivent rédiger des comptes rendus qui leur permettent non seulement de se construire une culture cinématographique, mais aussi d’aiguiser leur analyse et les réconcilier avec l’écrit en leur donnant envie d’argumenter sur une expérience. 

Les ateliers d’écriture – Après la lecture d’un texte en commun, pioché dans un répertoire très divers allant des classiques de la littérature française, aux tragédies grecques, en passant par les mangas, ou les incontournables de la littérature étrangère, les élèves poursuivent leur expérience à travers des rédactions. Selon leur sensibilité, différents parcours sont proposés, l’essentiel est de saisir que la lecture est quelque chose qui nous transforme. Le tout est ponctué d’exercices de grammaire, non pas présentés de manière arbitraire, mais utilisés pour enrichir l’écrit. »

Puis elle termine en précisant d’autres points :

« La méthodologie – Le bac français est une épreuve codifiée. Comprendre les attentes d’un examinateur, c’est aussi aborder l’épreuve plus sereinement. On a trop souvent l’habitude de détacher l’écrit de sa mise en pratique, ce qui donne la sensation à l’élève d’être perdu. L’accent est donc mis sur la méthode à travers de nombreux exercices de perfectionnement et la rédaction de fiches qui permettent à l’élève d’identifier un parcours et de saisir ce qu’il doit concrètement faire devant sa copie.

L’oral – Tous les textes présentés à la fin de l’année sont analysés scrupuleusement au sein des cours. Nous commençons par une lecture en commun, puis chaque élève travaille de son côté pour ensuite présenter son interprétation aux autres avant une correction globale. Ainsi, le travail d’assimilation est plus efficace car l’élève se confronte au texte au lieu de passivement recopier un corrigé. »

Bon, franchement, pas de révolution ici. Je veux dire, ce qu’elle dit est très intéressant. Très inspirant. Très rassurant aussi parce que je fonctionne un peu comme cette prof. Je fais dans l’ensemble les mêmes choses avec mes élèves, comme la plupart de mes collègues d’ailleurs ! Cette prof semble expérimentée, précise. On dirait une bonne prof. On dirait une très bonne prof. Mais je ne peux m’empêcher de penser qu’on en rencontre des dizaines comme elle dans le public, montessori ou pas, des dizaines qui ont la même façon de fonctionner qu’elle, que leurs méthodes soient dites « Montessori » ou pas, que ce soit conscient ou pas.

Je travaille sur un mémoire sur les REP. Je prépare une thèse sur les nouvelles pédagogies dans le secondaire. Cependant tout se mélange un peu en ce moment et toutes ces réflexions dont je vous ai fait part me laissent un peu pensive. Je ne sais plus franchement où est l’essentiel et ce qu’il faut vraiment défendre dans tout ce bordel…

L’école n’est qu’un produit culturel…

Récemment, un cours sur l’anthropologie de l’éducation m’a fait m’interroger différemment sur l’école. L’universitaire qui était chargé de ce cours nous expliquait en effet que toutes les institutions sociales ne sont que des produits culturels. La séparation entre l’école et l’église est, par exemple, un produit culturel. Ainsi, une institution telle que l’école n’est pas interprétable hors de son état culturel. Les éléments ne prennent sens que dans le contexte qui les porte. Prenez les îles Marquises par exemple. Là-bas, les enfants n’ont aucune notion de passé ni de futur : seul le présent existe, seul le présent compte. Envisager de réaliser un « projet » à l’école avec eux n’a aucun sens s’il dépasse le temps horaire entre le lever et le coucher du soleil.

resonances-regard-societe-ecole-politique1-miblog

Le corps, comme le reste, est lui aussi sous contraintes culturelles. Et comme le reste, cela modèle la société et les rapports humains. L’humain est un être d’irrationnel et de croyance. L’humain est incapable de faire face à sa propre condition : il lui faut des protections. L’école est une construction. Construction politique et sociale.

De 1880 à 1940, l’école est une institution conquérante, sûre d’elle-même et aux orientations fondamentalement « politiques ». Avec la loi Guizot de 1881 qui instaure la gratuité et le côté obligatoire de l’école, l’instruction a énormément progressé en France. L’idée de l’Etat était d’écarter l’Eglise qui avait alors la main-mise sur toute l’école et qui prônait la « Sainte Ignorance ». Avec cette loi, les catholiques perdent leur emprise sur l’instruction.

Mais pourquoi rendre l’école obligatoire ? Les enfants servent jusqu’alors de main d’oeuvre. L’Etat a-t-il agit par altruisme? Non, l’Etat a encore une fois agit par intérêt politique. L’adversaire principal du pouvoir est la droite catholique. Le parti au pouvoir pense donc qu’en émancipant les populations par le savoir, Dieu sera relégué au second choix dans les urnes.

L’autre raison est le traumatisme de la défaite de 70 face à la Prusse, par défaut d’unité nationale et de patriotisme. « C’est l’instituteur prussien qui a gagné la guerre »disait-on alors. L’école a pour rôle de fonder la conscience nationale.

On développe l’idée de laïcité. La laïcité est expliquée comme étant « le peuple dans sa diversité ». La laïcité se veut universelle. L’idéologie universaliste a par ailleurs servi à justifier la colonisation… En effet, l’école républicaine va justifier l’entreprise coloniale au nom d’une référence de la philosophie positiviste qui est l’universalisme : « Science, progrès, raison » était le mot d’ordre et cette devise devait être reconnue par toute la planète parce qu’elle servait des valeurs émancipatrices pour tous et donc pour tous les peuples…

Tiens, d’ailleurs, Jules Ferry a cumulé plusieurs portefeuilles de ministre, ministre de l’éducation et… ministre des colonies ! Eh oui !

A l’époque, aucune remise en question. Victor Hugo écrivait : « Le peuple éclairé apporte la lumière à celui qui est dans la nuit ». Charton disait : « La force de notre civilisation prouve notre droit à faire entrer les autres dans l’humanité »…

Les choses ont ensuite beaucoup évolué. Mais on oublie souvent que l’école est d’abord un produit culturel, depuis sa création jusqu’à aujourd’hui.

C’est cette vidéo qu’un copain a partagé sur facebook qui m’a donné l’idée de cet article. Un enfant y explique son rapport à l’école (vous pouvez tout regarder mais si seul le sujet sur l’école vous intéresse, le gamin en parle de la minute 5 à la fin, ça fait 3 petites minutes fascinantes) :  https://www.youtube.com/watch?v=aP2onqkHVIc

C’est la semaine de la classe inversée !

Du 25 au 29 janvier, c’est la semaine de la classe inversée dans toutes les académies de France. La classe inversée, c’est un peu à la mode chez les enseignants, mais ça n’en reste pas moins une innovation assez révolutionnaire en matière de pédagogie. Je suis pour ma part très partisan de la classe inversée bien que sa mise en place implique beaucoup de travail et d’organisation. Il est même probable que ma thèse porte sur ce sujet.

classe inversée

L’association Inversons la classe propose une semaine de rencontres et de partage autour de cette nouvelle pratique pédagogique dont on parle beaucoup.

Une classe inversée ouvre peut-être ses portes près de chez vous.
 
Certains professeurs déjà très impliqués dans cette pédagogie ont décidé d’ouvrir leur classe à d’autres professeurs désireux de découvrir cette pratique. Il existe une carte de France qui indique toutes les classes inversées « ouvertes ».
Consultez la carte et partez à la rencontre des collègues pour discuter de leur expérience.
De nombreux ateliers vous attendent également pour discuter notamment de l’utilisation de certains outils numériques.
Et pour ne rien manquer de l’événement vous pouvez suivre sur Twitter les comptes @CLISE2016 et @Classe_Inversee ainsi les #CLISE2016 et #ClasseInversee.

Très bonne semaine à tous !

(Et merci au livre scolaire pour l’info).

Enseigner avec le numérique : Des ressources pour les profs de lettres #2, une plateforme pédagogique nommée TACIT

=> TACIT : un outil pour aider à l’apprentissage de la lecture et à la compréhension des textes !

La plateforme pédagogique TACIT, en ligne depuis 2012 et dédiée à l’apprentissage des compétences fondamentales pour une bonne compréhension des textes (vocabulaire en contexte, lecture, implicite des textes…) est de plus en plus mise en place dans les établissements (carte de diffusion). Cette plateforme pédagogique a été créée par quatre enseignants-chercheurs de l’université Rennes 2 et de l’ESPE de Bretagne, deux développeurs informatiques et une orthophoniste. Elle permet la mise en place d’une pédagogie différenciée (un concept qui nous intéresse beaucoup sur ce blog : travail en îlot, travail individuel, travail en classe inversée, etc.), avec des élèves allant du CE1 à la 3ème.  (TACIT dans les médias pour ceux que ça intéresse…).

Ce que permet le logiciel ? D’abord d’évaluer le niveau de compréhension et de lecture puis d’aider à développer chez l’élève les outils pour comprendre l’implicite du texte (ce que le texte ne dit pas). Personnellement, je suis totalement séduite…. et devrais probablement encourager mon chef d’établissement à payer les 36 euros de la licence pour une de mes classes cette année !

Pour ceux d’entre vous qui ne connaissent pas le logiciel, vous pouvez découvrir et tester gratuitement TACIT à l’adresse http://tacit.univ-rennes2.fr. Une licence complète coûte 36€ pour une classe de 40 élèves (pourquoi la plateforme est payante ?).

Et enfin une vidéo pour présenter rapidement la plateforme :

Enseigner avec le numérique : Des ressources pour les profs de lettres #1, le cahier numérique

Il y a évidemment du bon et du moins bon à vouloir intégrer le numérique dans l’enseignement. Le débat est large, compliqué et passionnant. Persuadée qu’il n’est pas non plus pertinent de refuser intégralement l’utilisation de l’écran dans les apprentissages, je suis attentive à ce qui est proposé aux professeurs pour faire évoluer leur manière d’enseigner.

Le site IParcours propose des ressources pour les profs de français et de mathématiques. Davantage développé pour les mathématiques, il ne propose des activités interactives en français que pour la classe de 6° (pour le moment). Il faut évidemment acheter le cahier papier (5,50 Euros sur le site d’IParcours) ce qui donne accès à la version numérique du manuel (128 pages). Pour commencer, on peut tout à fait n’acheter qu’un seul cahier papier et ainsi en observer la pertinence en effectuant quelques photocopies pour les élèves. Quant à la version numérique, je trouve qu’elle peut apporter beaucoup de lisibilité en classe. Le professeur peut surligner, entourer directement au tableau ce qu’il veut mettre en avant, il peut projeter un exercice à faire, mais aussi projeter le corrigé, projeter le texte à étudier…. Par ailleurs une version DVD, installable de façon local, permet ensuite d’avoir accès à toutes les ressources sans connexion internet (quand on sait le nombre de fois où ça plante en classe, et cela quelque soit l’établissement, l’info n’est pas négligeable…).

Sur le site d’IParcours, deux vidéos sont intéressantes. La première explique l’utilisation en classe dudit cahier et de sa version numérique, elle est un peu rébarbative mais permet tout de même de bien voir les possibilités qu’offre cette ressource. La voici :

La seconde est plus intéressante : elle parle des pédagogies différenciées et propose une utilisation de ce cahier numérique comme soutien au développement de ces pédagogies différenciées (la classe en îlot par exemple ou bien la classe inversée dont j’ai à plusieurs reprises parlé sur ce blog). La voici :

On peut donc utiliser les avantages qu’apporte ce cahier numérique directement en le projetant au tableau, mais aussi, en salle informatique, en travaillant en petit groupe. L’élève peut travailler en autonomie… et le professeur se consacrer à l’explication individuelle, en passant d’un élève à un autre.

N’ayant pas testé concrètement cet outil je ne peux pas en dire plus mais j’avoue être séduite : j’envisage de l’essayer en classe.

Le lien direct vers les vidéos. 

Ecrire un recueil de poème ou une pièce de théâtre de A à Z avec des élèves

Ecrire-Duras-détail-titre (2)

Alors qu’elle était toute jeune professeure agrégée de lettres, Cécile Ladjali (qui a publié depuis de nombreux romans magnifiques tout en continuant d’enseigner) est parvenue à faire écrire à ses lycéens un recueil de poèmes, intitulé Murmures, qui a été publié, puis l’année suivante une pièce de théâtre, qui a été publiée également et jouée dans un théâtre parisien.

Dans un de ses livres, elle revient, à travers des remarques au compte goutte, sur la production du recueil de poèmes Murmures par des lycéens d’un établissement de la banlieue de la Seine-Saint-Denis. J’ai tenté de rassembler ses remarques pour obtenir une espère de guide, une sorte de mode d’emploi afin de reproduire l’exercice avec d’autres élèves.

1) FAIRE L’IMPOSSIBLE : C’est justement parce que c’était difficile et infaisable selon les élèves qu’on allait le faire. Je pense que le travail du professeur est de travailler contre, de confronter l’élève à l’altérité, à ce qui n’est pas lui, pour qu’ensuite il se comprenne mieux lui-même. 

2) LIRE : Chez eux, il n’y a pas de livres. Là résidait la première gageure. Certains jours, j’arrivais en classe avec des valises de livres. Je prêtais les miens, on s’attardait en bibliothèque, on a énormément lu pour, ensuite seulement, pouvoir écrire. Comment a-t-on lu ? J’ai donné à l’ensemble de la classe un corpus de texte général, autour des thèmes de la chute, de l’enfer, parce que c’était les thèmes de notre recueil, et ensuite un corpus de textes personnalisé, en fonction des goûts et des possibilités de chacun. 

3) RÉFLÉCHIR au THÈME : « Il s’agissait de lectures très classiques : les grands mythes, Dante, les textes de l’Antiquité où il est question de descente aux enfers. Certains ont filé la métaphore jusqu’à notre modernité. A ce stade, on a pensé à l’enfer concentrationnaire. On a tenté de se saisir de cette thématique philosophique très importante. 

4) ECRIRE et RÉÉCRIRE : « A observer la qualité littéraire, voire poétique du recueil, avec ses formes fixes très complexes, très maîtrisées, on pourrait se laisser aller à la candeur de croire qu’on a bénéficié d’une sorte de grâce… mais en fait, il n’y a pas de miracle. Nous avons tous énormément travaillé. Le premier jet est catastrophique. Le plus souvent, des écrins, des poncifs, des platitudes à pleurer. L’écriture de l’adolescent, quand il s’épanche un petit peu, est très décevante. La difficulté pour moi a été de le dire aux élèves sans les vexer. Donc il était question de s’imprégner des grands auteurs, des grands textes pour qu’ensuite, une fois cette matière première assimilée, la petite voix personnelle jaillisse de l’ensemble de ces lectures. 

5) LE CHOIX de la POÉSIE :  « La poésie a été pour moi l’occasion de les faire lire beaucoup, de travailler sur un genre très court où on allait pouvoir concentrer toutes les lectures et être  efficaces dans l’invention des images, dans l’emploi des métaphores. Je les ai fait lire, mais j’ai aussi été un despote. Pour qu’ils puissent écrire, ils avaient des consignes très précises. Il était question d’inventer une métaphore, de coller tel ou tel passage pour que le texte ait tout de même une substance. 

==> REMARQUES PRÉLIMINAIRES DE CECILE LADJALI QUI PEUVENT AIDER : 

° On travaille sur ces viviers mythologiques, bibliques, coraniques -ça dépend des élèves- qu’ils possèdent tous. Quand j’ai fait un sondage en début d’année, quand je leur ai dit qu’on allait travailler la chute, ils avaient tous une vague idée de ce qu’était la pomme d’Adam et Ève, de ce qu’était le serpent, etc. Je pense que c’est pour cette raison qu’il faut construire son enseignement sur la lecture des classiques car en fait, la bibliothèque universelle tient peut-être dans dix livres que les élèves ont, sans le savoir, dans leur besace.

° J’ai cherché à faire avec eux de l’écriture créative et, en même temps, à intégrer ma démarche dans cette nouvelle épreuve du baccalauréat : l’écrit d’invention. Inventer, créer, fonctionnent de concert avec les idées de règles et de rigueur. Je veux être très précise à ce sujet. Pour écrire un sonnet, il faut avoir fait l’inventaire des traits taxinomiques, stylistiques, qui incombent à tel ou tel grand genre littéraire. Ce nouveau sujet est redoutable, car il demande une maturité, un rapport presque fusionnel au texte parangon dont on va devoir se nourrir pour créer un pastiche érudit. Seulement, il faut que le professeur de français ait conscience de cela afin de le dire aux élèves qui respecteront alors tout ce qu’on leur présentera avec conviction comme digne de respect.

° Chaque jour je me suis demandé comment canaliser l’intuition et faire d’une étincelle un peu décevante un texte fabuleux et rigoureusement écrit. (…) Chaque élève a écrit dix brouillons.

Eloge de la transmisision : pour que les enseignants reviennent à l’essentiel

9782226137623gJ’avais déjà rapidement parlé de ce livre, Eloge de la transmission, que j’avais à l’époque survolé pour un article sur les bienfaits du par coeur au collège et au lycée, en lettres tout du moins ; mais je n’étais pas entrée complètement dans sa lecture. A l’heure où la réforme du collège 2016 est assez pesante pour tout prof qui cherche un peu à comprendre ce qui se passe dans son ministère, à l’heure où la guerre des profs fait rage sur twitter entre les pour et les contre la réforme…. la lecture de ce livre, un dialogue entre le professeur de réputation internationale George Steiner et l’agrégée de lettres mais aussi écrivaine Cécile Ladjali, est salvatrice. A travers un jeu de questions/réponses, les deux protagonistes mettent au jour ou bien des évidences qu’il est bon de rappeler ou bien des révélations essentielles à la pratique de l’enseignement.

Plutôt que de paraphraser leurs propos, je vais plutôt multiplier les citations après en avoir effectué un relevé ciblé. (Un autre article suivra cependant, davantage destiné aux professeurs de Lettres, pour expliquer comment Cécile Ladjali a mis en place l’écriture d’un recueil de poèmes publié puis l’écriture d’une pièce de théâtre, réécriture d’un classique, avec ses élèves de quartiers difficiles). Mais d’abord, les meilleurs morceaux d’Eloge de la transmission.

Cécile Ladjali (à propos des réformes et des querelles) : « Quand j’entends aujourd’hui (NDLR : le texte date de 2003 mais est toujours d’une grande actualité) les meilleures volontés s’enliser dans le débat sur lécole, je repense aux mots de cette journée de juin où l’essentiel avait été dit : passion, courtoisie, honnêteté, travail (…). Notre propension aux divisions et querelles a pris ces dernières années le visage de l’anxiété face à ce qui pourrait changer en bien. Dans le monde de l’éducation, de l’économie politique, de la vie intellectuelle, tout se passe comme si les contempteurs, les prédicateurs du chaos, avaient plus de facilité à se faire écouter que ceux qui tentent de mener des expériences nouvelles et par là même de faire changer les choses ».

CL (à propos de ceux qui ne veulent plus qu’enseigner les textes contemporains ou les chansons de Rap au détriment de Flaubert et confrères) : « L’idée saugrenue d’enseigner cette contre-culture a germé dans l’esprit d’anciens très bons élèves, désireux de s’encanailler, auxquels il faudrait répondre que Flaubert ou Rimbaud auraient sans doute trouvé cocasse qu’on les traitât de bourgeois. Et quand bien même la culture que nous proposons à nos classes serait-elle bourgeoise, nombre de collègues estiment qu’elle est la plus digne des enfants. On n’est conscient de ce que l’on est que lorsqu’on est confronté à l’altérité (…). Un esprit en formation succombe très facilement au mimétisme. Il n’y a qu’à observer leurs yeux lorsqu’il arrive au professeur de verser dans le cours magistral : la formule fascine. Plus le discours sera sophistiqué, plus l’auditoire écoutera attentivement et, ayant entendu plusieurs fois la même tournure, il ne sera pas rare qu’il la reproduise dans un devoir.

CL (à propos de la création et … de la dissertation) : « Ainsi, faire acte de poésie, c’est quitter la théorie pour l’expérience. C’est tourner le dos à l’idéal pour l’action en accepter les risques. Dès que l’on s’engage du côté de l’action, on tend le flanc à la critique de ceux qui ont choisi le doux confort intellectuel de l’inertie qui jamais ne viendra leur porter la contradiction. Dans ces entretiens, Steiner dénonce la parole creuse, la tendance moderniste à l’aspect communicationnel de la langue, au détriment de la gratuité du langage poétique et l’intention désintéressée qui fonde toute oeuvre littéraire. Cette gratuité suppose l’engagement absolu du coeur de l’auteur qui n’aura bénéficié d’aucune alternative au moment de la création : il devait écrire. Le professeur de lettres est conscient de cet impératif. Alors que penser du sujet de dissertation, sacrifié au pragmatisme du texte argumentatif ? De l’éclatement de l’oeuvre contrainte de se couler dans le moule de la lecture méthodique quand cette dernière requiert le souffle vital de l’analyse linéaire ?

George Steiner (en quoi la grammaire participe-t-elle de l’ontologie ?) Je pense à la grammaire en tant que structure de l’expérience humaine, à la façon dont nous divisons l’expérience, dont nous l’identifions. Par exemple, une lange comme l’hébreu, qui ne connaît pas le passé simple, ni le verbe au futur comme nous l’entendons, a une conception de l’univers profondément et radicalement différente de la nôtre. le fait que l’allemand puisse placer le verbe très loin à la fin de la phrase est l’une des clés de sa puissance métaphysique. L’allemand a la disponibilité du néologisme philosophique de tenir en suspend l’argument à l’intérieur d’un propos que le cartésianisme de la grammaire française n’a pas. (…)

GS (sur le cours de lettre qui doit ou bien instrumentaliser la langue à des fins pragmatiques ou bien insister sur la gratuité du langage venant construire l’oeuvre d’art) : « La révolution dite de Gutenberg n’en était pas une. Elle a accéléré l’écriture du manuscrit, ce qui est parfait. La révolution électronique actuelle est mille fois plus puissante, plus fondamentale. Elle remet tout en question parce que les grandes banques de mémoire de l’ordinateur peuvent contenir des connaissances infiniment plus détaillées, plus détaillées, que celles de notre cerveau. (…) Dans la partie d’échec contre la machine et le champion du monde Kasparov, la machine fait un coup gagnant et le champion dit « Elle ne calcule plus, elle pense ». C’est déjà un problème philosophique formidable : où s’arrête le calcul et où commence la pensée ? (…). Nous sommes devant un monde tout à fait nouveau où les machines vont discourir entre elles. D’un autre côté, la spontanéité de la vie humaine cherche à s’exprimer avec des moyens très archaïques et, au fond, très lents, très inexacts. Nous pataugeons dans les paroles. (…) Le grec ancien appelle l’homme « l’animal qui parle », pas « l’animal qui bâtit », « qui calcule » ou « qui fait la guerre ». On n’a pas le choix : parler, c’est respirer, c’est le souffle de l’âme. La parole est l’ocygène de notre être. (…). C’est la bataille la plus importante, mais il n’est pas du tout évident qu’on va la gagner.

GS (sur l’humanisme et la barbarie) : « J’ai essayé de montrer dans mes travaux la terrible faillite de la culture humaniste devant l’horreur de notre siècle. Non seulement, elle n’a pas empêché la barbarie, mais elle l’a souvent aidée. Comment faire lorsque Sartre, peu avant sa mort, et ce n’était pas un homme qui aimait les rivaux, a dit « un seul de nous restera : Céline ». ALors, comment faire ? Entre les valeurs morales humaines, les valeurs de compassion et de liberté, et le génie de la parole, il y a quelque chose, comme dirait Nietzsche, au-delà du Bien et du Mal. C’est terrifiant cette transcendance de toute éthique dans le génie poétique. Le grand maître de la parole peut être infernal, démoniaque, un fasciste, un raciste, etc. Il faut faire très attention parce que la grande éloquence, le pathos ont une puissance formidable. »

GS (sur le futur = « Quel « si » serait en mesure de lutter contre la barbarie ? » ) : « Tout ce que j’ai écrit là-dessus, René Char l’a dit en un seul petit aphorisme  « L’aigle est au futur ». Il n’y a vraiment rien à ajouter, et on essaie toujours d’expliquer la merveille de cette image, de cette phrase. Pouvoir parler du lundi matin après ses propres funérailles est une chose qui me remplit à la fois d’étonnement, d’enthousiasme, d’humilité, d’orgueil. Pouvoir dire non à la finalité biologique de notre mort qui est tellement imminente pour tous que, dit Montaigne, « le nouveau-né est assez vieux pour mourir ». D’accord, mais avec le futur du verbe, on peut se projeter à travers des millions d’années, on peut imaginer les galaxies qui seront dans une certaine position exacte et précise dans deux cents millions d’années. On peut en parler rationnellement. C’est le grand défi à la mort que le futur du verbe. Si nous ne pouvions rêver (et rêver est une forme de futurité aussi)il n’y aurait vraiment que la clôture de la brièveté et de la médiocrité de nos petites vies personnelles. Il est fantastique que nous soyons un animal qui ait des grammaires de futurité, qui ait, comme dit Eluard, Le Dur Désir de durer, et qui ait le moyen de l’exprimer. »

GS (sur le bienfait de la lenteur dans l’éducation) : « De la patience, de l’hésitation, de la lenteur. Ecoutez, c’est Pascal qui, comme toujours,, a tout dit : « Si on arrive à être assis dans une chaise, silencieusement, seul dans une chambre, on a eu une très grande éducation. » Et c’est très difficile. Ecrivez sur le tableau la parole de Martin Heidegger : « Si vous voulez des réponses, faites des sciences. Si vous voulez des questions, lisez la poésie ». Ca aide beaucoup parce que ça aussi, c’est une maxime de la patience.

GS (sur l’école aux Etats-unis) : « Là, nous avons énormément à apprendre des Etats-Unis, à qui l’on fait toujours, et avec justice, la critique d’une vulgarisation des études secondaires. Notez bien que l’école américaine dit à chaque enfant : « Tu vas dépasser tes parents ». C’est le credo même de ce progressisme, de ce méliorisme, c’est le mot technique, politique. Tocqueville l’avait déjà vu. C’est la nation, c’est la philosophie qui dit : « Tu ne dois pas avoir honte de vouloir faire mieux que tes parents ». En Angleterre, nous souffrons encore d’un système  de classe où les parents disent  : « Non, tu ne vas pas me dépasser, car dans ce cas là, tu quittes la solidarité politique et idéologique de ta classe ». Ca, croyez-moi, c’est le vandalisme de l’âme.

CL (sur l’inégalité à l’école et les programmes) : « Quand on voit que l’école reconduit et durcit les clivages sociaux avec des filières de relégation pour les uns, des filières d’excellence pour les autres, on s’aperçoit que ce système ouvert est en fait totalement fermé et qu’il ne parvient qu’à une chose, naturaliser des inégalités sociales. (…) La question sociale reste l’un des défis de l’école d’aujourdhui et aussi l’un de ses chantiers les plus difficiles. Enseignant en Seine Saint Denis, je sais qu’un élève qui grandit dans un quartier défavorisé aura beaucoup de mal à s’en sortir. ON a l’impression que le système est construit un peu contre lui. Quand je me penche sur les programmes déments que je dois enseigner à mes élèves de seconde, je repense à ma situation de lycéenne. J’étais au lycée il n’y a pas si longtemps que ça, et je n’ai pas souvenir que l’on ait placé la barre aussi haut. J’enseigne à mes élèves des notions qui étaient celles que je voyais lorsque je passais les concours ! Observez la table des matières d’un manuel scolaire ! Ce n’est pas possible… Il y a un trop grand décalage entre ce type de grilles savantes et leurs capacités à s’exprimer et à formuler correctement leurs idées. Lorsque je pose des questions à mes élèves, ils me répondent par monosyllabes. (…) Il y a dans cet écart entre la réalité sociale et le contenu des programmes quelque chose de très incohérent. Ecrire un livre, s’approprier physiquement la littérature peut rendre l’aventure scolaire un peu moins absurde, sans que l’on ait renoncé pour autant à l’excellence« .

GS (sur le langage et les êtres anti-verbaux) : « D’autre part, on pourrait se dire : pourquoi ne pas permettre à l’enfant, à l’élève ou au candidat de soumettre un dessin, une composition musicale, l’esquisse d’une chorégraphie. Pourquoi toujours le langage ? Ce n’est pas du tout évident. Il y a des êtres d’une puissance de création profonde dans leur sensibilité qui sont anti-verbaux, pour lesquels le mot pose un grand problème et la syntaxe est une entrave.