A la découverte d’une association innovante en éducation : le GRIP

Le GRIP a été une découverte récente pour moi. J’ai aimé la logique de cette association soutenue et connue par le ministère de l’EN mais en même temps souvent en désaccord avec lui et totalement indépendante. J’apprécie leur volonté de défendre l’école laïque et républicaine et leur refus des écoles privées nouvelles qui pullulent : « Le GRIP récuse les options des « créateurs d’écoles » qui proposent, sous le prétexte fallacieux de défendre l’instruction, d’adapter les programmes enseignés en fonction du milieu auquel appartiennent les élèves, des opinions et des options idéologiques ou religieuses de leurs parents ». Je vous livre ici une rapide présentation de cette association et, en-dessous, leur texte fondateur mais je reviendrai plus profondément sur leur travail dans d’autres papiers. Cependant, il est important de noter que le GRIP est soutenu par des personnalités du monde de l’éducation aux idées plutôt conservatrices comme Natacha Polony et que cette association est plutôt qualifiée d' »anti-pédagos », d’anti-Meirieu notamment…. Mais comme d’habitude, je trouve ce débat entre pédagos et conservateurs inintéressant. Au risque de manquer de tranchant, il y a du bon à prendre de chaque côté. D’ailleurs, le GRIP, Polony, Meirieu, etc. sont finalement au moins d’accord sur une chose : il faut défendre l’école publique et égalitaire. Les deux versants des sciences de l’éducation voient d’un mauvais œil les écoles-privées-aux-nouvelles-pédagogies-pour-population-aisée qui prospèrent.

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L’objectif central du Groupe de Réflexion Interdisciplinaire sur les Programmes (GRIP) est la construction de programmes scolaires denses, exigeants et progressifs. Ce travail de longue haleine entamé en 2005 est mené à bien grâce à la confrontation avec les réalités de terrain et la pratique des classes.

Ainsi, le GRIP a lancé le projet SLECC (Savoir Lire Écrire Compter Calculer). Pour le développer, le GRIP associe des enseignants de tous niveaux, de la maternelle à l’université en passant par le primaire et le secondaire. Je détaillerai ce projet et les réflexions théoriques et historiques du GRIP dans d’autres papiers à venir.

Le site www.instruire.fr, site du GRIP (très vieillot alors que le site du SLECC est plutôt agréable), contient réflexions théoriques et historiques, programmes scolaires en chantier, ressources pédagogiques en libre consultation ou disponibles sur demande, ainsi que prochainement un forum ouvert à toutes les questions pédagogiques. Il est à la disposition de tous ceux qui sont attachés à la qualité de l’Instruction publique.

POSITIONS DU GRIP SUR LA CRISE DE L’ÉCOLE  ET LES MOYENS DE S’EN SORTIR
(Texte de référence pour l’adhésion au GRIP)
 
Origine principale de la crise 
Depuis sa fondation en 2005, le GRIP situe l’origine principale de la crise de l’école dans le délitement des programmes, en premier lieu des programmes du primaire.   Amorcé dès les années soixante, accentué réforme après réforme, à peine corrigé ces derniers temps, ce délitement a en effet rendu de plus en plus aléatoire la constitution de savoirs rationnels. Il a ainsi compromis la possibilité pour la masse des élèves d’accéder à la culture élargie qui conditionne la réussite ultérieure des études.  En conséquence, le GRIP voit dans la reconstruction de programmes du primaire  riches, cohérents et progressifs la priorité des priorités et la condition nécessaire d’une vraie démocratisation de l’enseignement. 
 
La reconstruction des programmes 

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Entre les pédagos et les trados, des profs inventifs

Sur Twitter se cristallise une haine entre ceux qui se déclarent des pédagogues, investis dans les recherches en sciences de l’éducation, surnommés « pédagogo » par leurs ennemis ; et ceux qui se sont fait appeler « les anonymes consternants » parce qu’ils utilisaient toujours des surnoms quand ils invectivaient et insultaient les premiers. Ambiance… Quand on n’entre pas dans l’arène et que l’on observe de loin, même en étant prof soi-même, c’est accablant de ridicule et d’idéologies. D’autant que les arguments des uns et des autres manquent de clairvoyance et de pertinence. Pourquoi l’un exclurait l’autre ? Pourquoi vouloir penser la pédagogie, essayer d’autres méthodes, empêcherait de défendre une école sérieuse qui promulguerait des savoirs pointus ?

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J’effectue des recherches en sciences de l’éducation et me questionne régulièrement sur ma pratique, j’aime tester les pédagogies à la mode et les concepts nouveaux mais cela ne m’empêche pas d’apprécier le travail du collectif Sauver les lettres qui défend le retour à un niveau d’enseignement de la langue française plus élevé et élitiste (sans être moins inégalitaire). Il ne me semble pas inconséquent d’avoir un pied de chaque côté. Pourtant, on dit bien que l’association Sauver les lettres exècre le travail des pédagogues comme Philippe Meirieu et dénonce la promotion chez l’élève des activités, du savoir-être, au détriment des contenus des cours…. Pourquoi opposer les deux ? Si on le fait, on tombe forcement dans l’idéologie.

Pédagos contre partisans des vieilles méthodes : l’opposition caricaturale continue donc de jouer à plein, dans les médias comme à chaque conflit sur les programmes. D’un côté, ceux qui réfléchissent aux modes d’apprentissage des enfants qui iraient forcément dans le sens du constructivisme et des raisonnements inductifs ; de l’autre, ceux qui calquent les pratiques du passé. La réalité est plus contrastée. Les recherches pédagogiques sont diverses, et ne correspondent que rarement à un clivage idéologique. Il y a, bien sûr, les écoles Montessori, la pédagogie Freinet, les mouvements pour  » l’éducation nouvelle », dont se réclament tous ceux qui voient surtout dans la pédagogie la part de découverte par l’élève et la confrontation à des « situations-problèmes » (ce qui réduit singulièrement l’héritage des grands pédagogues). Mais il existe aujourd’hui nombre de professeurs qui s’interrogent sur leurs pratiques et sur les moyens de transmettre le savoir.

Le Grip, Groupe de réflexion interdisciplinaire sur les programmes, fait partie de ces associations qui entendent réfléchir à la pédagogie sans pour autant accepter les modes et les dogmes. Qualifié de  » groupuscule extrémiste  » par un inspecteur qui n’aime pas toutes les réflexions en éducation et que son devoir de réserve ne paralyse apparemment pas, le Grip fut fondé, en 2003, par des enseignants qui espéraient avoir un mot à dire dans le grand débat sur l’école lancé par Jacques Chirac. Passant au crible les programmes scolaires, ils ont depuis lancé un projet baptisé Slecc, qui compte aujourd’hui une vingtaine de classes en France. Le projet Slecc, Savoir lire, écrire, compter, calculer, est un projet expérimental.

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Paroles d’élèves : « Madame, pourquoi on apprend pas plutôt l’arabe ? »

Hier, cours de grammaire avec les sixièmes. Passionnant, donc. Soudain, El. a un sursaut. Il doit se dire que c’est bien compliqué pour lui, tout ça, et que ça serait peut-être plus facile avec une langue qu’il maîtrise mieux. S’en suit un dialogue étonnant à plusieurs niveaux.

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Dessin de Martin Vidberg

El : « Madame, pourquoi on apprend pas l’arabe plutôt que le français ? »

Soupir collectif. En. se fend même d’un « M’enfin qu’est-ce que tu racontes ? ».

Moi : « Euh… Dans quel pays vit-on El. ? En France ! CQFD. Mais au lycée, enfin si tu arrives jusque là (note de la prof : bah quoi ?), tu pourras prendre option arabe au bac. »

El  (sourire narquois aux lèvres) : « Oui mais Madame, il y a plus d’arabes que de français en France, alors autant apprendre l’arabe ».

Moi : « Peut-être dans le quartier où tu vis, mais pour le reste, c’est une bêtise ce que tu racontes là ».

El : « … »

Moi (qui tout à coup réalise que je réponds un peu à côté de la plaque) : « Et d’ailleurs, El., toi, tu es français ! Tu es né en France, ton passeport est couleur bordeaux, tu es français ».

El : « Ah non, moi, Madame, je suis arabe ».

Moi (un peu agacée quand même) : « Non, tu es français. Français d’origine algérienne ce qui est génial, parce que tu as une double culture ».

El (sourire entendu) : « Non, je suis arabe, Madame ».

La classe s’agite, je lève les yeux au ciel. Tout le monde a envie de commenter. Tout le monde finit par donner les origines de ses parents. Les questions fusent. « Madame, mon grand-père, ses parents étaient français, mais lui il est né en Algérie, alors il est quoi ? ». « Moi, madame, mon père est algérien et ma mère marocaine, alors je suis quoi ? ». Je donne la parole à L. pour stopper le brouhaha.

L. « Alors moi, Madame, je suis née en France mais ma mère est italienne et mon père tunisien. Je suis quoi, moi ? »

Je réponds à L., première de la classe, qu’elle est française, d’origine italienne ET d’origine tunisienne.

Elle me regarde les yeux ébahis. Elle vient véritablement de découvrir quelque chose sur elle-même. Elle veut le noter pour s’en souvenir. Je fais le tour de la classe et leur donne leur étiquette « nationalité-origine » à chacun.

En en reparlant avec d’autres profs, j’ai souligné l’étrangeté de cette discussion : j’ai eu la sensation qu’hormis El., très provocateur, ces gamins n’avaient aucune maîtrise de tout ça. C’est important pourtant non ? Plus encore que les accords sujet-verbe ? Ou même que la déchéance de nationalité ?

Education nationale : Bilan 2013

Billet très fortement inspiré par les revues de presse des Cahiers Pédagogiques et par le merveilleux blog de Philippe Watrelot

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Fin 2012, le rapport « Refondons l’école de la République » est remis au ministre Vincent Peillon. La totalité des sujets qu’il contient seront alors inscrit dans le projet de loi sur l’école qui a été soumis au parlement en janvier 2013.

Et depuis, voilà les chantiers lancés, avec plus ou moins de succès :

Les rythmes scolaires … survivent au choc médiatique

Peillon demande le retour à la semaine de 9 demi-journées et envisage la possibilité d’allonger de deux semaines l’année scolaire (suppression de deux semaines de grandes vacances). Cette réforme devait entrer en vigueur à la rentrée 2013 mais certaines écoles ont eu l’autorisation de repousser cette mise en place à la rentrée 2014.

Résultats ? Beaucoup d’oppositions à cette réforme, oppositions assez compliquées à comprendre puisque la plupart ne refusent pas le fond du projet mais plutôt la rapidité d’exécution et le manque de moyen pour la mettre en place correctement.

Ce qui n’a pas aidé cette réforme (au bon rythme, à mon sens) ce sont évidemment l’instrumentalisation politique qui en a découlé et les médias qui ont parlé uniquement de ceux qui étaient contre la réforme et sans vraiment expliquer pourquoi ils l’étaient. Dans l’opinion publique, ça a donné une sorte de flou : on n’est pas d’accord par principe, parce qu’on n’a entendu beaucoup de critiques à la radio.

Cette tempête médiatique n’a pas aidé cette réforme qui aurait pu au contraire profiter de certains témoignages positifs pour réparer ses couacs. D’autant que cette tempête médiatique s’est déclenchée alors que seulement 20 % des communes ont mis en place la réforme en 2013. Seulement 20 % !!!!!!!!! Ca promet pour les 80% restant en septembre prochain… En tout cas, les subventions des communes ont été reconduites, la mise en place du nouveau rythme est donc bien partie pour se concrétiser.

Réinventer la formation des enseignants 

Les IUFM ayant été fermés, il a fallu récréer quelque chose ; la même chose ça aurait vraiment été de la provoc, du coup on a créée l’ESPÉ (Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education). Là, hormis les difficultés à faire travailler université et école séparée ensemble, tout le monde est d’accord (ou presque) : c’était essentiel. Tout reste à construire : indépendance vis à vis des universités ? Modèle économique ?

Résultats ? Augmentation du nombre d’inscrits au futur concours de recrutement des enseignants et création d’un Comité de suivi. Hic ? Il va falloir réinventer les formations créées dans l’urgence pour cette première année.

De nouveaux programmes ! 

Peillon a mis en place le Conseil Supérieur des programmes (CSP). 10 personnes nommées par le ministre : 3 députés, 3 sénateurs et 2 représentants du Conseil économique, social et environnemental… Pas de profs ? Non, malheureusement, pas de profs… Son président est Antoine Boissinot (il a notamment écrit Perspectives actuelles de l’enseignement du français (dir.), CRDP de Versailles, 2001). Ce n’est cependant pas le CSP qui va construire les programmes, il doit simplement définir les orientations générales et une charte pour cette construction. Les programmes de la Maternelle changeront en premier (rentrée 2014) puis ce sera au tour de l’élémentaire puis du collège et du lycée.

Dans une interview, le président du CSP a expliqué le futur travail de cette instance, et c’est très prometteur … :

Avant on définissait les programmes comme des contenus d’enseignement en lien avec un cadre horaire. Aujourd’hui l’idée c’est de réfléchir comme dans de nombreux pays en terme de curriculum, ce qui suppose une approche plus globale. Le curriculum ce n’est pas que du contenu mais une réflexion sur les compétences, l’évaluation, les outils numériques, la formation professionnelle. C’est une nouvelle approche , une nouvelle manière d’aborder les questions au programme. Plutôt que remplacer les programmes, procédure qui lasse les enseignants, on réfléchit à une nouvelle méthode pour élaborer plus globalement et les accompagner mieux en terme de formation et d’outillage pédagogique et d’accompagnement. ”.

Résultats ?  On ne peut pas s’empêcher de penser qu’à chaque quinquennat les programmes changent et on ne peut pas s’empêcher de rappeler qu’il faut une dizaine d’années pour voir l’effet de nouveaux programmes… Sans continuité politique, tout cela semble donc fort vain !

Les assises de l’éducation prioritaire : 

Elles sont en cours et donneront lieu à des synthèses courant 2014.

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Alors, verdict ? On a quand même un peu l’impression d’assister à une remise en place de tout ce qu’avait démantelé Sarkozy (IUFM fermés, 70000 postes en moins alors qu’il y a 35 élèves par classe, etc.) et à une énième révision des programmes. Mais évitons de sombrer dans la critique négative à la Polony, dans la défiance, à dénigrer ce qui pourrait être au final très positif !

Comme le dit Antoine Prost (Du changement dans l’école chez Seuil, analyse des réformes successives dans l’EN) : “Nous avons un vrai problème de gouvernance politique : la continuité n’est pas assurée, or elle est absolument nécessaire dans l’Education nationale. ”. En d’autres termes et pour reprendre l’expression de Philippe Watrelot : « Le temps pédagogique n’est pas celui du politique ». Mais finalement, peu importe : quand les enseignants et l’opinion est d’accord sur une réforme, la continuité se crée d’elle-même, et c’est comme cela que le changement voit concrétement le jour.

Les sujets de polémiques pour 2014 sont répertoriés par Philippe Watrelot

– La question du métier et des salaires, la question du rééquilibrage entre salaire des primaires et salaires des collèges/lycées…

– Question du statut de l’enseignement, et des disciplines enseignées qui sont vécues (à juste titre, non ? ) comme une partie de l’identité professionnelle des enseignants du secondaire.

– Question du « management » de l’école : autonomie et responsabilisation des lieux d’enseignements. Plus clair et plus souple. Oui, mais à quels risques ?