Je n’ai pas d’a priori positif ou négatif sur l’IEF (l’instruction en famille dont je vous ai déjà parlé ici). Le concept de déscolariser ses enfants pour leur enseigner autrement m’intrigue et m’intéresse beaucoup. Professeure de lettres, j’ai déjà un peu roulé ma bosse dans différents collèges et lycées généraux de l’Education Nationale. Je suis enseignante dans le public et c’est quelque chose que je revendique. Je ne pense pas beaucoup de bien des écoles privées… Cependant, force est de constater que le système de l’école publique pose problème à de nombreux enfants. Si la grande majorité des profs sont bienveillants et ont pour objectif principal le développement intellectuel et social de leurs élèves, parfois, ça pêche. Parfois, la scolarisation est violente. Parfois, elle est injuste. Parfois, elle oublie l’individualité. Pas évident d’être attentif à tous quand on gère une trentaine d’enfants ou d’ados par heure.
Ainsi, j’ai eu envie de présenter ici une série d’interviews de maman qui ont choisi de déscolariser leurs enfants et de pratiquer l’instruction en famille pour qu’elles nous donnent leur vision des choses, loin des théories et de la doxa éducative.
On commence avec Amandine, maman de Paul (4 ans) et d’Apolline (15 mois).
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Bonjour ! Je suis Amandine, j’ai 29 ans, je suis la maman de Paul et d’Apolline. Nous habitons la Haute Normandie. Avant de prendre la grande décision d’accompagner nos enfants, j’étais cadre dans une entreprise de BTP Normande. Nous vivons dans une petite maison en pleine campagne Euroise.
Depuis quand pratiques-tu l’instruction en famille (IEF) et pour des enfants de quelles classes ?
Nous avons commencé l’aventure de l’IEF à la rentrée 2015 pour Paul, qui a 4 ans. Paul est un enfant précoce. A ce stade de l’année, nous travaillons sur des ressources de grande section de maternelle.
Ton/tes enfants ont-ils déjà été à l’école ? Si oui, combien de temps ? aimaient-ils ça ?
Nous avions inscrit Paul a l’école, (mon mari, étant peu confiant au départ quant aux capacités d’apprentissage spontané de Paul, il manifestait une certaine réticence au fait qu’il ne soit pas scolarisé « comme les autres enfants » notamment pour la sacro-sainte socialisation ! je ne partageais absolument pas son avis, mais j’étais au début très seule dans mes convictions, nos familles y allant de leurs avis également, ce fut un sacré combat…) Paul a fait sa journée d’essai au mois de juin dernier, avec moi. En sortant il m’a clairement dit, qu’il ne voulait pas d’école comme ça, « rester assis c’est nul », il préférait rester à la maison avec sa petite sœur et moi. Il a su convaincre son papa, qui à ce jour, ne le scolariserait pour rien au monde !
Pourquoi as-tu pris la décision de déscolariser ton/tes enfant(s) et de pratiquer l’IEF ?
Ma maman était ATSEM dans une école maternelle, elle avait une classe de moyens-grands. Lorsque je lui ai parlé du fait que je ne souhaitais pas scolariser Paul, elle m’a répondu que c’était une excellente décision, probablement la meilleure que j’aurais à prendre pour Paul !
Je souhaitais la Liberté pour mes enfants. La « slow life » en fait ! Avec la maternelle, je ne prenais pas beaucoup de risques ! Bon et il y a aussi mes convictions personnelles, disons que je ne crois pas qu’on puisse « imposer » des apprentissages, des programmes avec l’obligation d’entrer dans des cases, des évaluations, de la compétition. Et surtout pas en classe de maternelle. C’est un peu stéréotypé, hein, mais globalement c’est un peu ça. Je crois très profondément à la spontanéité d’apprentissage chez l’enfant. A quasiment 3 ans Paul écrivait son prénom seul. Sans que, ni mon mari, ni moi-même n’ayons eu à faire quoi que ce soit. Il m’a suffi de l’observer, de répondre à ses questions, et de mettre à sa disposition le matériel adéquat. C’était évident.
Les éventuelles difficultés :
Pratiquer l’instruction en famille implique forcement pour l’un des parents de dédier tout son temps à l’éducation des enfants. C’est une idée compliquée pour moi qui aime aller travailler et qui multiplie les projets personnels. Est-ce un sacrifice ? Comment gérer cette absence de temps pour son épanouissement personnel ?
Un sacrifice ? Non. C’est un plaisir, du bonheur ! Une autre vie en somme. Lorsque cette aventure sera devenue pour moi un sacrifice – si un jour cela le devient – alors je reprendrai le chemin du bureau. Le temps passé aux cotés de Paul et d’Apolline est épanouissant, me fait grandir, et m’apprend tellement ! J’aime leur compagnie. Ils déplacent sans cesse ma vision de la vie. Font bouger ce que je pensais immuable ! Je dirais aujourd’hui que je sais où je vais, et ce que je souhaite, ils ont ouvert une palette de couleurs que je n’avais jusqu’alors jamais vue ! Mon épanouissement personnel je le trouve ailleurs… Je fais du Yoga, je cuisine, je lis beaucoup, j’écris, je médite, je vois mes amies au moins 2 fois par mois juste « entre filles » et cela me suffit amplement. Puisque je suis en accord avec mes convictions. Je suis moi.
Financièrement l’IEF implique également un salaire en moins dans le foyer. Est-ce nécessaire que l’autre parent gagne bien sa vie pour vivre paisiblement ? Comment joindre les deux bouts de cette façon ?
Pas nécessairement. Il est d’ailleurs possible de travailler et de faire l’IEF. Le film « Etre et Devenir » de Clara Bellar montre des exemples de famille IEF où les deux parents travaillent à l’extérieur – Notamment les parents d’André Stern, auteur du livre « Et je ne suis jamais allé à l’école ». Lorsque l’on prend la décision de l’IEF, les priorités se déplacent et les coûts diminuent, (moins de vêtements, de chaussures, plus de frais de garde, moins de frais de carburant etc…) On prend conscience aussi de plein de petits détails qui changent le quotidien, comme notre façon de consommer par exemple… Nous faisons aussi plus de choses par nous-mêmes, (nourriture, cosmétiques, produits ménagers…), nous consommons local, moins d’industrialisation, de produits transformés, plus d’économies et de saveur ! Tout le monde y gagne ! Nous empruntons des jeux à la ludothèque, allons régulièrement à la médiathèque, nous fréquentons très peu les supermarchés (et alors là vive les économies!), et internet regorge de formidables ressources…
Que pensent tes enfants de l’IEF ? Quel point de vue ont-ils sur l’école ? Cela leur manque ?
Paul est encore petit. Je lui ai cependant posé la question dernièrement s’il souhaitait prendre le chemin de l’école en septembre. Il m’a répondu « maman me fait l’école, et c’est très bien comme ça » si, si tel quel !
Penses-tu les scolariser de nouveau un jour ? Penses-tu qu’il y ait un âge limite pour pratiquer l’IEF et qu’il faille réintégrer le système scolaire au collège par exemple ?
Je n’exclus pas une scolarisation un jour. S’ils me le demandent, pourquoi pas ? Pour l’instant nous prenons le temps. Nous vivons notre aventure. Nous la chérissons.
Un âge limite, je ne crois pas. Tout dépend des choix de l’enfant, je suppose. J’imagine qu’un jour la question d’une scolarisation se pose. Notamment pour les études supérieures.
Si la réintégration dans le système scolaire est envisagée, t’inquiètes-tu des difficultés qu’elle pourrait engendrer ?
Oh non ! Je ne m’inquiète pas des difficultés que cela pourrait engendrer sur mes enfants, je pense que je serais sûrement plus anxieuse qu’eux ! J’ai confiance en eux et en leurs capacités.
En pratique…
Dois-tu rendre des comptes à l’Education Nationale ? Les prévenir de ton choix ? Y a-t-il un suivi opéré par eux ?
Pour l’instant non, pas encore de compte à rendre, puisque Paul est en maternelle et que l’instruction est obligatoire à partir de l’âge de 6 ans.
Quels types de documents utilises-tu pour enseigner à tes enfants ?
Tout !!! Livres, polycopiés trouvés sur internet, coloriages, jeux, expériences, la nature (quel formidable terrain de jeux et d’apprentissage !), la pâte à modeler, la cuisine etc… Tout ce qui éveille la curiosité de Paul, devient une source d’apprentissage !
Comment, concrètement, se passe une journée « type » ?
Paul et Apolline se lèvent quand ils se réveillent. Je commence à les réveiller tranquillement lorsque l’horloge dépasse les 10h30 du matin. S’ils dorment, c’est qu’ils en ont besoin. Je me lève vers 6h30-7h00, je prends 1h pour moi et je prépare la journée. Je sors les jeux, le parcours de motricité si le temps est incertain (je sais que s’ils ne vont pas dehors, ils vont avoir besoin de bouger), les activités sensorielles (surtout pour Apolline), Le matin, on joue, on patouille,on se fait une randonnée selon le temps, ou on va au marché, Paul s’occupe de choisir les fruits et légumes et le fromage de chèvre… Apolline fait une sieste de 13h00 à 15h30 environ, pendant ce temps, Paul fait ce qu’il souhaite, il fait du « travail », (nous ne travaillons pas le matin, avec Apolline c’est quasiment impossible, c’est une petite fille très intense…), des jeux libres, il m’aide au jardin, on lit, on cuisine, ou on bricole, c’est lui qui brosse Glouton (notre chien) et qui s’occupe des gamelles d’eau et de croquettes. On prend le goûter vers 16h30. Je prépare Paul et Apolline et nous sortons dehors au jardin, ou nous rejoignons des petits copains de Paul au parc à Honfleur. Le mercredi matin nous allons à la médiathèque, le mercredi après-midi nous visitons Maminou et nous visitons mes parents généralement le vendredi puisque mon père ne travaille pas le vendredi et que Paul peut s’occuper du grand potager de Papy, et faire du tracteur ! On termine la journée par une bonne douche pour tous les 2 (le grand air, ça use !) un bon repas tous les 4, des jeux avec papa, quand nous le pouvons tous les 4. Nous berçons Apolline, je lis une histoire à Paul, et je discute avec lui de tout et de rien. Il tient à ce temps de parole juste lui et moi. Ensuite au dodo. Extinction des feux vers 21h30 généralement parfois même plus tard, lorsque l’envie de jouer est encore bien présente !
Quels sont, objectivement, les avantages que cette pratique a révélés ?
Incontestablement un mieux-être global. Sur notre famille, sur moi. Nous prenons le temps de vivre. On ne court pas, ou si peu. Ce sentiment de liberté. Cette sensation de se respecter, de respecter nos besoins, nos ressentis. De répondre à leurs besoins instinctivement. De vivre à leurs rythmes. De profiter autrement, de les voir grandir. Quelle chance !
Et les inconvénients ?
L’ouverture des musées, et autres lieux de culture souvent fermés en semaine… ou ouverts mais uniquement aux écoles…
Un dernier petit mot à ajouter ?
Merci de m’avoir lue ! 😉
Merci mille fois d’avoir partagé ton expérience avec nous. As-tu un blog ? Un instagram ? etc. si l’on veut te suivre ?
Un instagram oui : @paul_apolline_et_moi ! M E R C I !!!
RDV la semaine prochaine pour l’interview de Eve Herrmann du blog « Liv & Emy’s Diary »…