Mon premier Molière en chair et en os. J’en attendais beaucoup. J’ai été comblée. Le texte rythmé, comme adapté à la syllabe prêt à chaque tirade, porte l’énergie de la pièce. Une énergie de vie, sublimement comique : je n’ai jamais autant entendu un théâtre se marrer comme devant Molière ! La salle rit quasiment non stop pendant les 2 heures de représentation. Le texte est construit pour ça, puis il vient s’allier aux jeux des acteurs, leurs mimiques, leurs gestuelles, leurs intonations, et tout ça devient une machine bien huilée. C’est ça qui m’a le plus frappée : le théâtre de Molière est millimétré. Rien n’est mis au hasard, ou pour rien.
Mais pour que tout fonctionne ensemble, il faut les planches, impérativement. Dans le grand débat du théâtre pour être lu / théâtre pour être joué, Molière rentre forcement dans la seconde catégorie. Le texte pour faire entendre tous les rouages de la comédie doit être dit. Une considération qui fait quand même réfléchir sur l’enseignement du théâtre : une pièce de Molière est au programme pour chaque classe d’âge de la 6e à la 2de ! Ca fait au minimum 5 pièces de Molière lues. Pour combien vues ?
Evidemment, c’est d’abord l’intrigue et la psychologie des personnages qui font fonctionner le reste, qui lancent la machine. Un petit résumé de la pièce :
Archétype du jaloux artisan de sa propre perte, Arnolphe pense avoir trouvé la parade aux frasques supposées des femmes. Il a choisi la sienne, Agnès, trop jeune et un peu sotte, et l’a isolée en lui donnant une éducation à l’écart du monde.
Le destin précipite naturellement le projet dans l’imprévu, à l’opposé des plans concoctés. L’Amour frappe Agnès, mais c’est du jeune Horace qu’elle s’éprend. On assiste alors à une course effrénée de 5 actes dans lesquels Arnolphe tente d’étouffer dans l’œuf le sentiment qu’éprouve celle sur qui il a tout investi. La créature se retourne contre son créateur. Ses présumées faiblesses deviennent ses forces et font d’elle un symbole d’insurrection face à l’ordre établi. Plus encore qu’à son habitude, Molière mêle la vie de la troupe et sa vie personnelle à l’intrigue de la pièce. L’année de son écriture, il épouse la fille de sa maîtresse, de 20 ans sa cadette. Il joue avec sa biographie et brosse les portraits de personnages naïfs et cruels malgré eux.
Jean Liermier révèle toute la richesse de la pièce, avec cette maîtrise du verbe et de la forme et du jeu à laquelle ses acteurs adhèrent si généreusement. Une scénographie épurée, graphique et colorée, dessine le terrain de jeu sur lequel se projette l’évolution des destins.
Et un bout de la scène 3 de l’acte II, dialogue entre les deux paysans, valet et servante d’Arnolphe, Alain et Georgette :
ALAIN
C’est que la jalousie… entends-tu bien, Georgette,
Est une chose… là… qui fait qu’on s’inquiète…
Et qui chasse les gens d’autour d’une maison.
Je m’en vais te bailler une comparaison,
Afin de concevoir la chose davantage.
Dis-moi, n’est-il pas vrai, quand tu tiens ton potage
Que si quelque affamé venait pour en manger,
Tu serais en colère, et voudrais le charger?
GEORGETTE
Oui, je comprends cela.
ALAIN
C’est justement tout comme.
La femme est en effet le potage de l’homme;
Et, quand un homme voit d’autres hommes parfois
Qui veulent dans sa soupe aller tremper leurs doigts,
Il en montre aussitôt une colère extrême.
(La pièce est jouée jusqu’à demain, le 21 avril, au Célestions, Lyon 2).
Avec Rachel Cathoud, Jean-Jacques Chep, Simon Guélat, Gilles Privat,Lola Riccaboni, Alain Trétout, Ferat Ukshini Assistant à la mise en scène –Robert Sandoz / Collaboration artistique – François Régnault / Scénographe – Yves Bernard / Créateur lumière – Jean-Philippe Roy / Créateur son – Jean Faravel / Créateur costumes – Coralie Sanvoisin / Créateur maquillage – Katrin Zingg / Créateur coiffures –Katrin Zingg.