L’IEF ou l’instruction en famille reste marginale en France. Pourtant quelques dizaines de milliers de familles la pratique et ce malgré les a-priori souvent négatifs. J’avais commencé avec Amandine, la maman d’Apolline et de Paul, une série d’interview sur le sujet au début de l’été. Voici enfin la deuxième interview : c’est Eve, maman de deux petites filles, déjà bien connue du monde de l’IEF puisqu’elle détaille dans un très joli blog son quotidien et celui de ses enfants et qu’elle participe à la rédaction pour les éditions Nathan de livres Montessori, qui s’y colle. Merci à elle pour ses réponses précises, qu’elle m’excuse d’avoir mis si longtemps à publier ici son partage d’expérience.

Une des filles de Eve au travail. Photo : Eve Herrmann
- Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis Eve Herrmann. Je vis à Lyon avec mon mari et nos deux filles : Liv et Émy. Avant d’avoir des enfants j’étais graphiste indépendante, mais l’arrivée des filles a chamboulé beaucoup de choses et m’a dirigée vers de nouvelles expériences.
Aujourd’hui elles ne vont pas à l’école et nous apprécions ensemble chaque jour et ce qu’il a à nous offrir.
Je suis passionnée de pédagogie (notamment Montessori, pour laquelle j’ai suivi plusieurs formations), j’aime écrire et prendre des photos. Je travaille actuellement pour les éditions Nathan, pour leur gamme Montessori, et depuis cette année, j’ai créée avec mon mari une petite marque de cahiers : les cahiers H. Imaginés au départ pour nos filles, ces cahiers ont pris leur envol et sont disponibles à la vente sur notre petite boutique en ligne (www.cahiers-h.com).
- Depuis quand pratiques-tu l’instruction en famille (IEF) et pour des enfants de quelles classes ?
Nous avons déscolarisé les filles il y a deux ans. Émy terminait sa moyenne section et Liv son CP. Aujourd’hui Émy a 6 ans et demi et Liv en a 9.
- Tes enfants ont donc déjà été à l’école. Combien de temps ? Aimaient-ils ça ?
Liv a commencé l’école à 4 ans. Mais ça n’était pas vraiment l’école. Elle suivait des ateliers Montessori chez une amie. Puis avec cette amie et d’autres personnes nous avons ouvert une école Montessori. Liv y a donc poursuivi sa scolarité jusqu’à notre déménagement à Lyon, où elle est entrée au CP, dans une école privée à pédagogie classique.
Émy avait commencé à fréquenter un peu la classe des 3-6 ans, quelques matinées, avant que nous partions pour Lyon, où elle a fait une année de moyenne section.
Les deux filles n’avaient pas de problèmes avec l’école, tant qu’elles étaient à l’école Montessori. Arrivée en CP, Liv qui savait déjà lire et écrire, s’ennuyait un peu et trouvait que c’était très répétitif. Émy ne voulait parfois pas y aller et c’était difficile de la lever le matin… heureusement elle s’était fait une amie, et cela lui donnait du courage pour se rendre à l’école, car elle aussi s’y ennuyait. Mais elles ne se plaignaient pas plus que ça de l’école et ne semblaient pas y être malheureuses.
- Pourquoi as-tu pris la décision de déscolariser tes filles et de pratiquer l’IEF ?
Mon mari et moi travaillons à la maison. Nous gérons notre temps de travail, nos horaires… nous avons de ce fait une très grande liberté et une souplesse agréables. Avec l’école nous étions obligés de lever les filles (alors qu’elles dormaient à points fermés !), de les presser souvent pour être à l’heure… nous partions toujours en courant pour arriver à l’école à la dernière minute ! J’allais les chercher pour qu’elles mangent avec nous le midi, et rebelote, il fallait repartir… je devais toujours les interrompre en pleine activité passionnante pour les accompagner à l’école. Et le soir, la course pour réussir à se coucher assez tôt pour être en forme le lendemain !
Bref, ce petit rythme imposé par l’école nous a pesé au cours de cette année dans une école classique. Nous ne nous sentions pas très bien d’imposer cela à nos enfants, alors que nous étions à la maison, tranquilles, à gérer notre temps comme nous le souhaitions. Il y avait là pour nous une incohérence.
En plus de cela, la pédagogie classique, où tout le monde avance à peu près au même rythme, apprenant la même chose au même moment ne me convenait pas trop et de moins en moins au fil de l’année. J’ai vu l’intérêt d’Emy pour la lecture et l’écriture décroitre à mesure que l’année avançait. Elle se conformait aux attentes de sa classe.
Nous avons alors cherché d’autres écoles. Nous avions évidement pensé à Montessori, se trouvant de plus à deux pas de chez nous ! Mais le tarif, beaucoup trop élevé nous a découragé. Nous avons visité l’école Steiner et envisagé d’y inscrire les filles. Mais cela voulait dire déménager moins loin de l’école… et encore une fois, les frais de scolarité étaient élevés… Bref, les écoles qui auraient pu nous plaire étaient chères.
C’est ce qui nous a amené à penser à l’IEF. Nous n’avions pas envie de dépenser notre argent dans une école, qui ne nous satisfaisait pas à 100%. Et puis une école, quelque soit la pédagogie, reste une école…
A partir du moment où l’idée de l’instruction en famille a germé en nous, nous n’avons plus pu faire marche arrière. Cela nous a semblé évident ! Comme la réponse que nous cherchions depuis un moment sans la trouver. Par rapport à notre mode de vie, à nos envies de voyages, peut-être de déménager à l’étranger, à notre envie d’être libres et sans attaches… ce choix était évident. L’idée a grandi et s’est imposée comme étant la meilleure solution à tester ! Et nous nous sommes lancés.
- Pratiquer l’instruction en famille implique forcement pour l’un des parents de dédier tout son temps à l’éducation des enfants. C’est une idée compliquée pour moi qui aime aller travailler (je suis prof !) et qui multiplie les projets personnels. Est-ce un sacrifice ? Comment gérer cette absence de temps pour son épanouissement personnel ?
Chez nous en effet, c’est moi qui prends en charge les filles la plus grande partie du temps. C’est souvent le cas, chez beaucoup de familles. Mais j’en connais qui se partagent le temps, ou d’autres où c’est plutôt le papa. Et il y a également des familles où les deux parents travaillent.
Même si je m’occupe des filles la journée, j’ai conservé mon travail. Je suis indépendante et libre de gérer mon temps et de travailler au moment où cela m’arrange. Souvent le soir, donc. Évidement, je gagnerais peut-être un peu plus d’argent en étant à 100%, car j’aurais plus de projets, mais c’est très bien ainsi. Nous n’avons pas besoin de plus.
Autrement pour la question du sacrifice, je ne vois pas du tout cela comme ça. Si c’était un sacrifice pour moi de faire cela, et bien… je ne le ferais pas ! Aucun enfant n’a besoin que ses parents se sacrifient. Faire quelque chose qui ne nous rend pas heureux n’a pas de sens, et ne rendra pas nos enfants heureux.
Je n’ai pas le sentiment de manquer de temps. Au contraire ! Mon temps n’est plus morcelé par les allers-retours à l’école et les plannings obligatoires. Nous gérons notre temps tranquillement et nos journées sont lentes, douces, à notre rythme propre. J’ai des projets plein la tête et ce ne sont pas mes filles qui vont m’empêcher des les réaliser.
Elle font parties de ma vie et des mes projets aussi ! Cette année nous avons créé notre marque de cahiers. Les filles ont participé au projet, elles ont tout suivi, elles ont donné leur avis, fait des recherches de noms, testés les prototypes… elles ont fait les assistantes photos, les mises en scène… tout cela était vraiment très chouette à vivre en famille. Elles ont appris que l’on peut réaliser ses idées, avec de l’enthousiasme et peu de moyens ! Alors, non, pas de sacrifice ici, ni de regret ou de sentiment que l’IEF m’empêche de faire ce que j’ai envie. Bien au contraire, mes projets ont pris de la profondeur et une raison d’être.
- Financièrement l’IEF implique également un salaire en moins dans le foyer. Est-ce nécessaire que l’autre parent gagne bien sa vie pour vivre paisiblement ? Comment joindre les deux bouts de cette façon ?
Cela n’implique par forcément un salaire en moins. C’est parfois le cas, mais pas toujours. Beaucoup de maman travaillent à mi-temps ou à la maison comme moi.
Quoi qu’il en soit, il y a une chose que nous avons remarqué, mon mari et moi : faire le choix de l’IEF nous mène sur un chemin différent, nous invite à une réflexion plus approfondie sur les pratiques de la société. Quand on commence à dire non à quelque chose d’aussi ancré et établi que l’Éducation Nationale on glisse rapidement vers d’autres NON. Non au gaspillage alimentaire, à la surconsommation, au plastique et à la pollution… et nous disons plutôt oui à l’alimentation saine, naturelle et simple, oui à la simplicité volontaire, oui à la lenteur…
Finalement nous faisons des économies. Nous dépendons moins aujourd’hui qu’avant !

Photo : Eve Herrmann
- Que pensent tes enfants de l’IEF ? Quel point de vue ont-ils sur l’école ? Cela leur manque ?
Évidement, les filles donnent leur avis sur la question et chaque année nous allons vérifier qu’elles veulent continuer ainsi.
Mais voici leurs réponses à cette question :
Émy :
« J’aime l’école à la maison parce que je travaille avec maman, et que je choisis ce que je fais. J’aime qu’on ne puisse pas être envoyé au coin comme à l’école, et que nos cahiers ne soient pas gribouillés au stylo rouge. Et maman a créé des cahiers que j’adore ! Je les aime parce que je peux faire un dessin pour illustrer le texte.
J’aime bien aussi parce qu’on travaille seulement le matin et qu’on joue l’après-midi, et qu’on va souvent au parc de la Tête d’or. Ce que je préfère faire ce sont les maths, l’étude de la nature (j’aime aller dessiner la nature au parc) et apprendre à reconnaître et dessiner les oiseaux. Ceux que je préfère sont la gorge-bleue, le troglodyte mignon, le rouge-gorge et le colibri. »
Liv :
« J’aime étudier à la maison parce que j’ai le droit de dessiner autant que je veux ! Je dessine tout le temps ! J’ai plein de copines qui ne vont pas à l’école comme moi et je les vois souvent. On organise des activités ensemble – comme par exemple un Book Club que j’ai créé, parce que j’aime la lecture.
J’aime aussi beaucoup le Japon et les mangas, j’en dessine beaucoup. J’aime travailler sur la nature et tous les animaux. J’aime tellement les animaux que je pense que je sauverai les animaux quand je serai grande !
Et je les dessinerai aussi. J’aime beaucoup faire un dessin sur un sujet que nous étudions et écrire un texte (j’aime l’histoire des hommes et des civilisations anciennes et aussi l’histoire des vêtements).
L’ief c’est beaucoup plus amusant que l’école et je suis plus libre ! Je peux choisir ce que je fais. L’année prochaine j’ai décidé d’apprendre le piano. »
- Penses-tu les scolariser de nouveau un jour ? Penses-tu qu’il y ait un âge limite pour pratiquer l’IEF et qu’il faille réintégrer le système scolaire au collège par exemple ?