« Une Idée folle » : un documentaire dans huit écoles et un collège innovants (publics et privés) qui montre que ça bouge !

« La façon dont on éduque les enfants conditionne la société dans laquelle on vit »
Article rédigé par Thierry Keller & Juliette Michel. Source : Usbek et Rica.

En 1964, France Gall chantait, dans « Sacré Charlemagne », ce refrain connu par des générations d’élèves : « Qui a eu cette idée folle, un jour, d’inventer l’école ? » 53 ans plus tard, la jeune réalisatrice Judith Grumbach s’est souvenue que l’école n’aurait jamais dû cesser d’être cette « idée folle » qui émancipe des millions d’élèves. Dans « Une idée folle », un joli documentaire co-produit par Ashoka France, elle pose sa caméra dans des écoles où les élèves s’entraident les uns les autres et où les profs nous donneraient presque envie de remettre un cartable sur le dos. Usbek & Rica a décidé de soutenir ce feel good docu et rencontré son auteure à Paris, avant une tournée des salles dans tout le pays.  

D’où vient l’idée de faire un film sur l’école, un sujet à la fois très traité, et peu glamour ?

J’ai commencé à développer une obsession pour le sujet début 2015, après les attentats. Des élèves ayant grandi à l’école de la République avaient décidé de tuer d’autres Français. Dans quelques endroits – et quelques endroits seulement – on n’a pas réussi à faire respecter une minute de silence alors que 17 personnes étaient mortes… Je me suis demandée comment on avait pu en arriver à cette fracture-là. On avait vraiment raté un truc énorme. Du coup, j’ai commencé à me plonger dans ce sujet et c’est à ce moment-là qu’Ashoka m’a appelée pour me demander d’aller filmer des écoles soutenues par le réseau et de faire des petites vidéos de 3 minutes. Je suis revenue de 4 jours de tournage avec 26 heures d’images. Du coup, on a décidé que ça valait la peine de faire plus, pour rendre justice à la richesse de ce que j’avais vu. En particulier aux profs que j’avais rencontrés.

Judith Grumbach sur le tournage d’« Une idée folle »

 Au-delà de leur rendre justice, l’idée était de leur donner du courage ?

Oui, j’ai un respect infini pour eux. Et je suis outrée par certaines déclarations de nos hommes politiques sur les enseignants, certaines insinuations. Il faut absolument revaloriser ce métier.

Qu’est-ce qui distingue les huit écoles et le collège que tu as filmé des établissements traditionnels ?

C’est le projet des équipes pédagogiques. En plus des savoirs fondamentaux, on y développe chez les élèves la confiance en soi, la coopération, l’empathie, la prise d’initiative et particulièrement l’esprit critique avec le but, fou ou pas, d’en faire une génération de citoyens épanouis, responsables, entreprenants et autonomes. Heureux en fait.

« Ça suffit de former des gens « intelligents » »

C’est un film politique ?

Oui, bien sûr. Le sujet de l’éducation est on ne peut plus politique. Quand un dictateur arrive au pouvoir, il s’occupe en général de ce sujet en premier, c’est le nerf de la guerre. Il y a cette lettre d’un rescapé des camps qui dit : « Mes yeux ont vu ce que personne ne devrait voir : des chambres à gaz construites par des ingénieurs. Des enfants empoisonnées par des médecins éduqués. Des bébés tués par des infirmières formées. (…) Donc je me méfie de l’éducation. » Ça suffit de former des gens « intelligents ». L’éducation est un projet politique parce que la façon dont on éduque les enfants conditionne la société dans laquelle on vit. Et je pense qu’on peut évoluer. Il y a un tas de choses qu’on trouvait normales il y a cinquante ans qui, aujourd’hui, nous paraissent atrocement choquantes. La première petite fille noire à aller dans une école blanche, c’était en 1960 aux États-Unis.

École Living School à Paris (75)

Ce qui est frappant, c’est que tu parles d’« école du XXIe siècle », mais que les outils utilisés sont souvent inspirés par des pédagogies (Montessori, Freinet) qui datent du début du XXe siècle. Qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi n’a-t-on jamais vraiment généralisé ces méthodes qu’on semble redécouvrir aujourd’hui ?

C’est évident qu’il y a une contradiction à parler d’innovation quand on parle de méthodes qui, pour beaucoup, sont nées au début du XXe siècle. Je ne suis pas historienne et j’avoue que pour moi, c’est un peu un mystère. La première explication, c’est peut-être qu’elles sont nées dans l’entre-deux guerres et qu’après il y a eu la seconde guerre mondiale, qui a un peu stoppé net leur développement. Pourquoi ne se sont-elles jamais généralisées après ça ? Ça paraît être tellement du bon sens qu’il m’est très difficile d’expliquer que ça soit encore aujourd’hui considéré comme « alternatif » ou, pour certains, dangereux…

Voire élitiste…

Oui, c’est vrai. Mais l’accusation d’élitisme vient du fait que ces pédagogies ne sont pas disponibles partout, même si dans le film, 5 établissements sur 9 sont dans le public.

Une petite majorité seulement…

Ce que je veux dire, c’est que l’accusation d’élitisme n’est pas liée à la pédagogie elle-même, elle est liée au fait que cette pédagogie ne soit pas généralisée à l’école publique.

« L’éducation et l’instruction, ça ne marche pas l’un sans l’autre »

Peut-être est-ce aussi lié au fait que l’école du siècle dernier était une école de masse tandis qu’on parle aujourd’hui d’école « pour chacun » ?

Mais cette idée de prendre en compte l’individualité de l’élève était déjà défendue par Mario Montessori ou Célestin Freinet. Donc ce n’est pas nouveau. À la seconde où j’ai posé ma caméra dans ces écoles, je me suis dit : mais pourquoi est-ce que ce n’est pas comme ça partout ?

La Maison de l’enfant à Boulogne-Billancourt (92)

Tu ne crois pas que c’est parce que le débat ancestral entre « éducation » et « instruction » a été remporté par les partisans de l’instruction ?

Alors, ça c’est un débat qui m’apparaît vraiment, mais alors vraiment, non pas anachronique, mais absurde. Emmanuel Davidenkoff (journaliste et essayiste spécialiste de l’éducation, qui intervient à maintes reprises dans le film, ndlr) le dit très bien : « C’est un débat déraciné. Je n’ai jamais vu un prof entrer dans une classe en se disant, « moi je veux transmettre mes savoirs et je me fous complétement de savoir si les élèves vont avoir retenu quoi que ce soit à la fin du cours » et je n’ai jamais vu non plus un prof se dire : « ah bah c’est génial on va passer un super moment avec les élèves et je me fous totalement de savoir s’ils ont appris quelque chose à la fin » ». Bref, c’est un débat hors sol : l’éducation et l’instruction, ça ne marche pas l’un sans l’autre.

« La base, c’est l’estime de soi et la confiance en soi de l’élève, mais aussi du prof »

Elle a pourtant été hyper théorisée, cette tension.

Mais ça n’existe pas dans la salle de classe ! Pour transmettre des savoirs, il faut comprendre comment un élève apprend. Un élève n’apprend pas dans une situation de stress, par exemple. L’instruction pure, froide, sans émotions, sans affect, c’est un truc qui est complètement fantasmé. On ne peut pas non plus apprendre à un élève à lire, écrire et compter s’il est totalement persuadé qu’il est nul. La base, c’est l’estime de soi et la confiance en soi de l’élève, mais aussi du prof, car un prof ne peut pas aider un élève à développer sa propre confiance si lui-même n’a pas eu l’occasion de le faire. À l’inverse, on ne peut pas devenir citoyen sans savoir lire ou écrire, ou sans savoir d’où on vient, et donc connaitre l’histoire. Il faut arrêter d’opposer savoirs et compétences, ils se nourrissent l’un l’autre.

Quand on voit les profs dans le film, on se dit que ceux qui bénéficient de leur enseignement ont beaucoup de chance et que ça doit être très difficile de généraliser ce type de méthodes dans un État centralisé comme le nôtre.

Je ne crois vraiment pas. Tout est une question de formation, et aussi de posture : soit on décide de valoriser les enseignants, de leur faire confiance, soit on décide d’être dans un système de contrôle. C’est François Taddei (autre grand témoin qui intervient dans le documentaire, ndlr) qui le dit dans le film : tant qu’on nommera des « inspecteurs », il y aura un problème, même si on change leurs missions. Un « inspecteur », ça dit énormément de la psychologie du système éducatif français. Il faut permettre aux enseignants de faire leur travail. Il faut les former correctement, leur faire confiance, leur permettre d’avoir accès à un conseiller pédagogique, à une formation continue… Il faut favoriser la culture de l’innovation, encourager ceux qui essayent des choses. Et en finir avec cette idée que l’échec est la pire chose au monde parce que le fait de ne pas pouvoir se tromper bloque d’emblée la possibilité d’essayer quoi que ce soit. Pour les élèves comme pour les professeurs d’ailleurs.

 « Derrière la question du rôle de l’école, il y a une plus grande question : quelle société a-t-on envie de construire ? »

Les profs de ton film sont-ils une avant-garde ou bien sont-ils plus nombreux qu’on le pense ?

Ce qui est sûr, c’est qu’ils ne sont pas seuls.

Est ce qu’ils se sentent seuls ?

Je n’ai pas interviewé les seuls dix ou quinze profs qui font ça en France. Ils sont représentatifs d’un mouvement. Depuis qu’on a mis la bande annonce sur Facebook, on a plus de 600 000 vues et 10 000 partages. Ça veut dire que le sujet a une prise directe avec le réel, qu’il y a des gens qui se sentent concernés, et qui se sont reconnus. Alors ça ne veut pas dire que c’est la majorité, mais je pense que les profs font comme ils peuvent avec ce qu’ils ont. Il y a des profs qui travaillent dans des conditions extrêmement difficiles, et on ne les aide probablement pas assez.

Ils suivent une méthode bien précise, ou est-ce qu’ils pratiquent une sorte de bricolage pédagogique ?

Ils piquent des idées à droite à gauche, ils « font leur sauce », comme le dit Isabelle Peloux dans le film. Mais surtout, ils cherchent et ils se remettent en question en permanence. Chacun amène aussi un peu de ce qu’il est, même si au final, il y a beaucoup plus de points communs que de différences, puisqu’ils visent le même projet de société. Car derrière la question du rôle de l’école, il y a une plus grande question : quelle société a-t-on envie de construire ?

« Quand on apprend à un enfant à avoir confiance en lui, on lui apprend aussi à avoir de meilleures armes pour acquérir des savoirs »

On parle beaucoup du retour à l’uniforme, c’est assez à la mode…

Oui, ce passé fantasmé… Ce qui est étonnant là-dedans, c’est qu’on veut appliquer les solutions du passé à un monde qui n’a rien strictement plus rien à voir. Dans le film, Emmanuel Davidenkoff dit : « Peut-être que c’était mieux avant parce que c’était plus simple, qu’il y avait du travail, etc. Mais si c’est moins bien aujourd’hui, ce n’est pas la faute de l’école ! Si on met au défi l’école d’hier de répondre aux questions d’aujourd’hui, on est complètement à côté de la plaque » Vivons avec notre temps et n’allons pas chercher éternellement dans le passé des solutions à nos problèmes présents – et futurs surtout. On sait aujourd’hui qu’on ne connait pas 60% des métiers que les enfants vont exercer demain. Il faut donc leur apprendre à être capables d’apprendre toute leur vie. C’est ça le piège dans lequel il ne faut pas tomber, cette caricature qui consiste à dire qu’on apprend aux enfants soit à coopérer, soit à lire, écrire et compter. Quand on apprend à un enfant à avoir confiance en lui, on lui apprend aussi à avoir de meilleures armes pour acquérir des savoirs.

Comment faire pour offrir de l’autonomie aux écoles sans les sortir du « tout », c’est-à-dire de la République ? Peut-on réformer intelligemment le système ?

On forme les enseignants, et ensuite on leur fait confiance. Et pour faire évoluer le système, il faut le prendre en tenaille, comme le dit Jérôme Saltet (inventeur du jeu Les Incollables et le co-créateur de l’entreprise Play Bac, Ndlr) dans le film : à la fois aider ceux qui sont sur le terrain et ceux qui sont au ministère – et qui veulent faire changer les choses aussi. Il faut aussi favoriser le travail en équipe. Dans tous les établissements du film, il y a un projet commun à toute l’équipe, une vraie cohérence. On me dit aussi parfois que l’on ne peut pas généraliser ces pratiques, que ça marche parce qu’il s’agit de petits établissements… C’est sûr que ça ne marche pas avec 1500 personnes, mais dans ce cas-là, pourquoi on n’essayerait pas de créer des structures à taille humaine au sein des grosses structures ? Il y a une phrase que j’aime bien : « Ceux qui pensent que c’est impossible sont priés de ne pas déranger ceux qui essayent ». Je pense que ça résume pas mal la philosophie du film

Quelles sont les profils sociologiques et géographiques des mômes que tu as rencontrés ? Des petits blancs qui vivent à la campagne ?

Sur les 9 établissements, il y a des villes, des petites villes, des villages, et des tout petits villages. On en trouve dans le Val d’Oise, ou à Bordeaux, dans le quartier du grand parc, qui est un quartier composé à moitié de barres HLM et à moitié d’échoppes, c’est très mixte. Il y a aussi une école dans le XIXe arrondissement de Paris, et une autre à Boulogne-Billancourt. On peut reprocher au film son manque de diversité sociale et ethnique, mais d’abord le collège Clisthène – public – est un bon exemple, et ensuite je pense que ce n’est pas une raison pour dire que ce n’est pas possible ailleurs.

« Il est évident que le problème de la mixité sociale ne peut pas être résolu seulement par ces pédagogies »

Donc villes et campagnes, riches et pauvres…

Oui, évidemment, c’est possible partout. Après, il est évident que le problème de la mixité sociale ne peut pas être résolu seulement par ces pédagogies, et comme je le dis à la fin du film, il y a des prérequis : tout cela est impossible si l’on ne s’assure pas d’abord que les enfants sont en sécurité, qu’ils vivent dans des conditions dignes et qu’ils mangent à leur faim.

La Maison de l’Enfant à Boulogne-Billancourt (92)

Il y a quelque chose qui recense tout ce qui est fait ?

Sur certains sites il y a des annuaires, mais rien de très officiel.

Néanmoins, on sent de l’effervescence…

C’est clair ! Plein d’écoles, d’associations, d’événements se créent. Et beaucoup d’enseignants font évoluer leur pratique, y compris dans le public. Cela montre que des gens attendent quelque chose de l’éducation qu’ils ne trouvent pas pour l’instant. Il faut tenir compte de ce diagnostic-là et en faire quelque chose à plus grande échelle. Moi je crois fondamentalement à l’école républicaine, et je pense qu’on peut tous l’aider à évoluer.

« Je crois à une citoyenneté vivante, dans laquelle on est serait tous impliqués au jour le jour pour exercer nos droits et nos devoirs. Dès l’âge de 5 ans »

Les « valeurs de la République », justement, y sont-elles assez enseignées ?

Parler d’égalité, de liberté et fraternité une heure par semaine en éducation morale et civique ne suffit pas. Scander notre devise républicaine non plus. Il faut lui redonner du sens. « Liberté ? » Pour ça il faut avoir le droit de prendre des décisions, de s’exprimer, de se déplacer dans la classe, de se tromper. « Fraternité ? » On balance ce mot à toutes les sauces, mais la fraternité ça s’éprouve, c’est tout sauf un concept. Tout doit être prétexte à développer le vivre ensemble, à créer du lien entre les élèves. On ne devient pas citoyen à 18 ans parce qu’on a le droit de vote. Est-ce que, vraiment, ça ne pourrait pas être un peu plus que ça, être citoyen ? Est-ce qu’il n’y a pas là un enjeu quand on observe le délitement de nos démocraties ? Moi je crois à une citoyenneté vivante, dans laquelle on est serait tous impliqués au jour le jour pour exercer nos droits et nos devoirs. Dès l’âge de 5 ans. Ça prend une génération de changer un système. Il faut s’y mettre maintenant.

Ça tombe bien, on est en année électorale…

À condition de mettre l’école à l’agenda. Or, pour le moment, ce n’est pas ce que je vois. Avec ce film, on espère participer à créer un débat à la hauteur des enjeux, montrer que c’est le sujet le plus important.

L’école du Colibri à La Roche-Sur-Grâne (26)

Revenons aux élèves, qui sont quand même les personnages principaux du film. On a l’impression qu’ils sont tous heureux. Tu as censuré les passages qu’il ne fallait pas voir ?

Ah ah, non, je n’ai pas caché les élèves qui boudent au fond de la classe ! Il existe une atmosphère particulière dans ces écoles. La façon dont on est accueilli par les profs envoie déjà un message : il y a de la chaleur, de l’ouverture, c’est assez merveilleux, crois-moi. Non seulement les enfants ont l’air épanouis et heureux, mais surtout je ne les ai jamais vus se moquer les uns des autres, tous ces trucs de l’enfance qu’on associe au bizutage, à la loi de la jungle. J’ai vu des élèves en difficultés d’apprentissage, des élèves handicapés, mais au lieu d’être mis au ban, ils faisaient intégralement partie du groupe et leur présence permettait aux autres de développer leur empathie.

Est-ce qu’il ne faut pas un peu des profs exceptionnels humainement pour arriver à un tel résultat ?

Je pense que dans un contexte où la formation est ce qu’elle est, oui, il faut peut-être des individus un peu exceptionnels humainement. Mais si on donne les outils et les ressources à tous les enseignants, ce sera de moins en moins le cas.

On peut former des profs exceptionnels ?

Oui, et surtout former des profs épanouis. Un mauvais prof, c’est d’abord un prof en difficulté.

Une Idée folle, le site :  www.uneideefolle-lefilm.com

La page Facebook : http://www.facebook.com/uneideefollelefilm

 Et sur Twitter : @uneideefolle

Le buzz de cette semaine : Céline Alvarez

Tous les médias sur lesquels Céline Alvarez fait la promotion de son livre cette semaine la présente comme une « institutrice devenue pédagogue »… Evidemment la formulation fait mourir de rire les profs puisqu’un prof ou un instit qui n’est pas pédagogue aura bien du mal à faire son métier. Autrement dit, difficile d’être l’un sans l’autre. Céline Alvarez était donc institutrice, elle a tenté une « expérience » dans une école maternelle pendant deux ans, l’expérience s’est révélée pertinente puisque les résultats des enfants se sont améliorés… mais comme le mammouth de l’éducation nationale est long à bouger et qu’on ne lui a pas donné le prix Nobel tout de suite, Céline Alvarez a préféré quitter l’éducation nationale pour faire des conférences et écrire des livres en disant qu’il faut tout cramer de l’éducation nationale et recommencer.

Dans l’ensemble, j’aime beaucoup ce qu’elle dit, et je suis d’accord avec elle sur beaucoup de choses. J’aime bien aussi qu’elle fédère derrière elle des instits (surtout des instits, et non des profs puisque sa méthode concerne d’abord la maternelle). Mais je suis quand même embêtée par plein de choses.

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Robert Doisneau « Arithmétique mentale » 1956

D’abord, par le fait qu’elle monétise son savoir qui n’est pas le sien (voir paragraphe suivant) à travers un livre qui se vend comme des petits pains et à travers des conférences au lieu d’être dans le bateau. Cependant, il paraît que la ministre de l’EN l’a contactée et qu’elle a un rendez-vous avec elle dans 10 jours : peut-être alors qu’elle décidera de bosser de l’intérieur même si elle est moins mise en avant alors, forcement ; et même si c’est plus lent… Education Nationale oblige.

Ensuite (et surtout), je suis embêtée parce que tout ce qu’elle avance, Maria Montessori l’a déjà avancé et que ça, Céline Alvarez le dit très peu (elle le dit très vite fait). Effectivement, elle explique que les neurosciences (nouvelle discipline fétiche d’une partie des sciences de l’éducation) prouvent que toutes les hypothèses de Maria Montessori étaient justes (l’enfant apprend en faisant seul, dans l’action ; l’enfant apprend quand il est intéressé et non quand on lui impose un sujet, etc.). Mais pas besoin d’écrire un bouquin pour simplement plagier les idées de Montessori et ajouter à la fin : les neurosciences ont tout validé, on peut y aller. Dans la même perspective, je ne comprends pas qu’elle défende avec force le projet qu’elle a mené dans une maternelle à Gennevilliers comme l’exemple et le modèle à suivre, un exemple et un modèle que tout le monde appelle révolutionnaire alors qu’il me semble qu’il ne s’agit en fait là que d’une expérience Montessori, ce que font déjà des dizaines d’écoles Montessori en France, avec sans doute les mêmes résultats. J’ai regardé une bonne partie de sa dernière conférence, j’ai lu beaucoup de ses articles et interviews et je ne peux m’empêcher de penser qu’hormis être un as en com’, elle n’invente rien et oublie de dire que déjà des centaines d’institutrices font ce qu’elle préconise dans leurs écoles privées Montessori.

Enfin, je suis embêtée parce que sa méthode ne parle que de la maternelle et moi, je suis une professeure de collèges et de lycées, mais ça, ce n’est vraiment pas sa faute.

Par ailleurs, ce buzz autour de la sortie de son livre a deux avantages. D’abord celui de rappeler qu’il faut faire bouger l’école et aussi celui de remettre en avant les pratiques Montessori (dommage qu’elle ne les appelle pas vraiment comme ça) dans toutes les écoles maternelles publiques de France. Affaire à suivre donc, pour voir si ce hold up sert à quelque chose ou non.

***

Pour les non-initiés je vous mets ci-dessous l’une des nombreuses interviews de Céline Alvarez parues ces 3 derniers jours, puisque toutes les idées qu’elle défend, qui sont en fait les idées de Montessori, sont très pertinentes et méritent d’être mise en avant (interviw de l’Obs) :

Dans un livre-manifeste, dont « l’Obs » publie les bonnes feuilles, Céline Alvarez raconte l’expérience pédagogique qu’elle a menée dans une maternelle de Gennevilliers, qui a fait d’enfants en difficulté des petits cracks épanouis. Interview.

Vous dites, dans votre livre, que notre école a « tout faux », pourquoi ?

– 40% des élèves sortent du CM2 avec des retards en lecture et en mathématiques, ce qui les handicape lourdement pour la suite de leur scolarité. Ce constat est inacceptable. Comment imaginer que la moitié des enfants ou presque, ne soit pas en mesure d’apprendre à lire, écrire et compter, des savoir-faire élémentaires ? Je ne mets pas les enseignants en cause. Ils s’épuisent à pousser sans arrêt des enfants démotivés. C’est donc la méthode qui n’est pas adaptée.

Notre école est fondée sur des traditions jamais remises en cause : elle rassemble les enfants par âge, elle choisit leurs activités et confie à un maître le soin de déverser vers eux des connaissances. Or les recherches récentes des neurosciences et de la psychologie cognitive prouvent que l’esprit humain n’apprend pas de cette façon. Comme de nombreux pédagogues l’avaient pressenti, à commencer par Maria Montessori, on sait maintenant que l’enfant apprend en agissant. Et ce, dès la naissance !

Le bébé est naturellement avide d’expériences, il explore le monde autour de lui. Il apprend à parler sans manuel, simplement en échangeant avec nous. A quelques mois, il peut détecter une erreur grossière d’addition, ou repérer une erreur dans une autre langue que la sienne. Il possède une mécanique d’apprentissage époustouflante. Mais l’école, qui ne la prend pas en compte, a tendance à l’étouffer.

D’où vous est venue cette vocation de révolutionner l’école ?

– Sans doute un souci de justice sociale, et le sentiment d’un vaste gâchis. Déjà à 9 ans, à Argenteuil (Val-d’Oise) où j’allais en classe, je me souviens d’avoir été indignée de la manière dont l’école fonctionnait. J’avais spontanément préparé un exposé sur la reproduction des fleurs, et lorsque j’ai voulu le présenter à mes camarades, la maîtrise a refusé parce que cela bousculait son programme. Elle n’y pouvait rien, elle aurait aimé accédé à ma demande, mais ça n’était pas possible. J’ai compris que ce système étouffait les élans des enfants comme celui des enseignants. J’étais petite encore, mais cela m’a indignée! Cette indignation ne m’a plus quittée.

Après votre master en sciences du langage, en 2009, vous passez le concours de professeur des écoles et convainquez un conseiller du ministère de vous donner carte blanche pour trois ans dans une maternelle de ZEP. Qu’y avez-vous instauré ?

– J’ai renversé la situation. Dans ma classe, les enfants étaient autonomes et choisissaient leurs activités parmi une centaine d’autres que j’avais sélectionnées. Je les leur présentais, à chacun d’eux, et je les guidais la première fois ; puis ils les reprenaient sans mon aide. Ils apprenaient principalement seuls, portés par leur curiosité. Ils apprenaient aussi les uns des autres !

La classe se composait d’enfants de trois, quatre et cinq ans. Ils s’entraidaient et s' »enseignaient » mutuellement, spontanément. La classe pouvait étonner les visiteurs. Elle ressemblait à une ruche : on y voyait au même moment des enfants dessiner, classer des formes géométriques, coudre, découvrir des lettres, reconstituer le puzzle de la carte du monde ou faire une addition avec des bâtons de perles….Et ils pouvaient répéter leur activité autant de fois qu’ils le souhaitaient.

Vous n’avez pas eu peur que ce soit le bazar ?

– Pas vraiment. J’étais convaincue que l’activité du groupe serait très ordonnée si chacun pouvait vaquer à ce qui l’intéressait. Les plus jeunes, sans trop se poser de questions, choisissaient leurs activités, la faisaient avec beaucoup de concentration, et recommençaient jusqu’à se sentir satisfaits. J’ai vu un enfant se passionner pour les origamis, reprenant sans se lasser, jusqu’à faire un pliage parfait.

Mais j’ai été stupéfaite de voir que ceux qui avaient déjà passé un ou deux ans dans une autre maternelle étaient un peu désemparés. Ils étaient comme « décentrés », continuellement accrochés au jugement de l’adulte, incapable de choisir leur activité si je ne leur disais pas quoi faire, et incapables de juger par eux-mêmes leur travail.

Ça m’a fait mal de voir sur des enfants de 4 ans les dégâts du système éducatif traditionnel. Je passais à côté d’eux dans la classe, et je les sentais tellement en souffrance, si désireux que je les rassure sur ce qu’ils avaient fait : « C’est bien, Céline ? » Je leur répondais : « Et toi, qu’en penses-tu ? Tu es content de toi ? » Il leur a fallu beaucoup de temps pour qu’ils retrouvent leur propre motivation, leur élan intérieur.

Vous voulez dire qu’au fond, il n’y aurait pas besoin de professeur dans la classe ?

– Non, bien sûr ! Il ne suffit pas de placer un enfant au milieu d’un environnement stimulant, une salle remplie de jeux par exemple, pour qu’il apprenne seul. Il a constamment besoin d’un guide, d’un « étayage » bienveillant. Ça le rassure et lui donne les connaissances de base à partir desquelles il peut explorer et expérimenter. Il n’y a pas d’apprentissage possible sans cet échange et cette interaction. C’est d’ailleurs l’attitude qu’adoptent spontanément les parents et les enseignants, quand les conditions le leur permettent.

Les élèves de votre classe ont dépassé haut la main toutes les exigences du programme et bien au-delà, comment cela a-t-il été rendu possible ?

– Les enfants avaient le droit de se tromper ! Un des contresens majeurs de l’école, c’est de sanctionner sans arrêt l’erreur. Or elle est constitutive de l’apprentissage. Comme le montrent les travaux en psychologie cognitive, l’enfant apprend en se trompant.

Face à une situation, quelle qu’elle soit, son cerveau génère des prédictions. Il formule des hypothèses. Par exemple, d’après sa forme, cet objet est mou. L’enfant avance la main, et si l’objet est dur, il réajuste ses connaissances. Il ne peut donc apprendre de l’expérience d’un autre. Mais s’il a peur de s’engager, c’est tout le processus d’apprentissage qui est paralysé. Cette observation vaut d’ailleurs pour tous les âges de la vie…

Vous avez pu mesurer les progrès de vos élèves ?

– J’avais l’autorisation du ministère d’évaluer leurs progrès, sans qu’il m’ait pour autant délivré un document de cadrage officiel. La première année, ces tests ont été réalisés par le CNRS de Grenoble, et ils étaient très positifs. Tous les élèves sauf un avaient progressé beaucoup plus vite que la norme ! Certains étaient déjà rentrés dans la lecture. De leur côté, les parents notaient qu’à la maison, leur enfant était devenu plus calme, plus prêt aussi à aider les autres.

Les deux années suivantes, comme je n’avais toujours pas de document officiel, même si j’avais des visites d’inspecteurs de l’Education toutes les deux semaines dans ma classe, ces évaluations ont été interdites. J’ai tout de même organisé des tests scientifiques en dehors de l’école, avec une quinzaine d’enfants. Les résultats confirmaient ceux de la première année.

Une majorité des enfants avaient dépassé les fameuses exigences du programme. D’autres, qui avaient des retards considérables, avaient au moins rattrapé la norme. Je me souviens de cette petite fille bègue, terriblement timide. L’orthophoniste qui la suivait a été époustouflée par ses progrès, la façon dont elle s’est épanouie. En définitive, la majorité des enfants avait un à deux ans d’avance. Alors qu’ils venaient tous de milieux modestes. Cet enseignement par l’expérience, l’autonomie et l’entraide est aussi le moyen de corriger les inégalités sociales.

L’expérience a été concluante, saluée par les enseignants comme par les chercheurs… Et pourtant l’Education nationale a coupé court. C’est un peu désespérant, non ?

– On m’a annoncé qu’on me retirait le matériel, la classe avec trois niveaux. Sans explication. Mais j’ai décidé de continuer ma route ailleurs avec une liberté et une rapidité que l’Education nationale n’aurait pas pu m’offrir. J’ai démissionné de mon poste et j’ai lancé un blog sur lequel j’ai mis en ligne des vidéos de la classe et des contenus sur lesquels je m’étais appuyée. Depuis sa création, il est très visité par les parents et les enseignants.

Pour répondre à cette demande, et aider les enseignants qui le souhaitent à transformer leurs pratiques, j’ai d’un côté proposé des conférences qu nous mettons en ligne ensuite. De l’autre, j’ai écrit ce livre pour partager avec les parents les grands principes humains d’apprentissage et d’épanouissement. Pourquoi?  Parce qu’au fond nous les connaissons déjà intuitivement, mais nous les oublions parce qu’ils ne vont pas dans le sens du fonctionnement scolaire traditionnel. La véritable révolution ne viendra pas d’une autre nouvelle méthode, elle se fera lorsque nous appliquerons ce que nous savons déjà dans nos coeurs. Laissons les enfants suivre leurs élans. Faisons leur confiance pour apprendre, aidons-les à révéler leurs pleins potentiels.

Propos recueillis par Caroline Brizard et Véronique Radier

(1) « Les Lois naturelles de l’enfant. La révolution de l’éducation. A l’école et pour les parents », par Céline Alvarez, Les Arènes.

« Blanc sur Noir » de Tana Hoban (livre pour tout petit)

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Alors que je publiais récemment (enfin en juin dernier, avant la pause estivale du blog) une liste de 10 livres pour les nouveaux-nés et tout-petits, une lectrice me fit découvrir via Instagram une auteure pour enfants que je ne connaissais pas : Tana Hoban.

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DIY : Le troisième mobile Montessori du nouveau-né

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 Pour réaliser le troisième mobile Montessori, celui intitulé Gobi, avec les 5 boules d’une couleur dégradé, il faut normalement:

– 5 boules en polystyrène

– 5 fil d’un dégradé de la même couleur

– Du fil, une aiguille à laine, des ciseaux et une baguette de bois.

 En doublant le fil DMC et en perçant la boule de polystyrène en son centre, on passe le fil avec l’aiguille à l’intérieur de la boule jusqu’à avoir fait tout le tour. Et on recommence pour les 5 boules. C’est contraignant, c’est assez minutieux, le matériel coûte un peu cher et surtout, c’est très très long : il faut VRAIMENT s’armer de patience (c’est sans doute pour cela que ces mobiles sont vendus à des prix exorbitants sur Etsy, parfois jusqu’à 90 euros le mobile !!!!!).

Une alternative à ce travail titanesque ?

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DIY : Le deuxième mobile du nouveau-né / Mobile des octaèdres

Pour comprendre davantage le principe des mobiles proposés par la pédagogie Montessori, je vous invite à relire l’introduction du DIY pour la fabrication du mobile n°1.

Ce deuxième mobile, celui des octaèdres, est à présenter à l’enfant à partir de 6 semaines, juste après le mobile Munari en noir et blanc. Voici le rendu final :

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Vous pouvez choisir de mettre les trois figures géométriques au même niveau ou bien de les décaler comme je l’ai fait. Vous pouvez choisir de les réaliser toutes les trois de la même taille ou de varier les dimensions, dans ce cas, il faut que la bleue soit la plus large et la jaune la plus petite, le bébé visualisant moins bien le bleu que le jaune à ce stade de son développement.

Le matériel pour réaliser ce mobile :

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DIY : Le premier mobile du nouveau-né #Pédagogie #Montessori

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La pédagogie Montessori propose de présenter au nourrisson des mobiles dès ses premières semaines de vie. Loin d’être aussi colorés et bruyants que les mobiles du commerce, ceux-ci  sont parfaitement adaptés au possibilité du bébé et à ses évolutions mentales et physiques.

Celui que nous proposons de réaliser aujourd’hui est le premier mobile de la série « Mobile Montessori » que l’on présente au nouveau-né, de l’âge de 3 semaines à 6 semaines de vie. A la naissance, sa vue est un peu trouble, mais il peut distinguer la lumière, les formes et les mouvements ainsi que des éléments très contrastés.

Il faut placer ce mobile assez près de l’enfant : il ne peut encore pas adapter sa vision à un objet situé loin de lui ; en gardant une distance suffisante afin qu’il ne puisse pas le toucher.

Les éléments du mobile, légers, bougent lentement. Le bébé va observer les contrastes, les formes, les proportions, l’équilibre des éléments et s’en imprégner. Ce mobile fait appel au sens inné d’ordre et de relations mathématiques que l’être humain possède dès le début de la vie (d’où l’importance de respecter les calculs pour la création du mobile).

=> Le mobile a été créé par Bruno Munari qui a fait partie du mouvement Art concret, qui a créé de nombreuses sculptures aériennes mobiles et aussi des « prélivres » pour les tout-petits.

Voici le mobile fini (photo 1) et les explications pour les calculs (photo 2) :

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Etape 1 :

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Etape 2 :

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Etape 3 : 

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Etape 4 et étape 5 : 

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Etape 6 : Pour monter ce mobile, il faut ensuite trouver les points d’équilibre, ce qui n’est pas évident… Voici un peu d’aide (photo du coin montessori) :

mobile-munari-montage1

Et voilà ! (Trois autres mobiles sont à réaliser pour les premiers mois de vie de l’enfant : les prochains DIY ne vont donc pas tarder).