Sur Twitter se cristallise une haine entre ceux qui se déclarent des pédagogues, investis dans les recherches en sciences de l’éducation, surnommés « pédagogo » par leurs ennemis ; et ceux qui se sont fait appeler « les anonymes consternants » parce qu’ils utilisaient toujours des surnoms quand ils invectivaient et insultaient les premiers. Ambiance… Quand on n’entre pas dans l’arène et que l’on observe de loin, même en étant prof soi-même, c’est accablant de ridicule et d’idéologies. D’autant que les arguments des uns et des autres manquent de clairvoyance et de pertinence. Pourquoi l’un exclurait l’autre ? Pourquoi vouloir penser la pédagogie, essayer d’autres méthodes, empêcherait de défendre une école sérieuse qui promulguerait des savoirs pointus ?
J’effectue des recherches en sciences de l’éducation et me questionne régulièrement sur ma pratique, j’aime tester les pédagogies à la mode et les concepts nouveaux mais cela ne m’empêche pas d’apprécier le travail du collectif Sauver les lettres qui défend le retour à un niveau d’enseignement de la langue française plus élevé et élitiste (sans être moins inégalitaire). Il ne me semble pas inconséquent d’avoir un pied de chaque côté. Pourtant, on dit bien que l’association Sauver les lettres exècre le travail des pédagogues comme Philippe Meirieu et dénonce la promotion chez l’élève des activités, du savoir-être, au détriment des contenus des cours…. Pourquoi opposer les deux ? Si on le fait, on tombe forcement dans l’idéologie.
Pédagos contre partisans des vieilles méthodes : l’opposition caricaturale continue donc de jouer à plein, dans les médias comme à chaque conflit sur les programmes. D’un côté, ceux qui réfléchissent aux modes d’apprentissage des enfants qui iraient forcément dans le sens du constructivisme et des raisonnements inductifs ; de l’autre, ceux qui calquent les pratiques du passé. La réalité est plus contrastée. Les recherches pédagogiques sont diverses, et ne correspondent que rarement à un clivage idéologique. Il y a, bien sûr, les écoles Montessori, la pédagogie Freinet, les mouvements pour » l’éducation nouvelle », dont se réclament tous ceux qui voient surtout dans la pédagogie la part de découverte par l’élève et la confrontation à des « situations-problèmes » (ce qui réduit singulièrement l’héritage des grands pédagogues). Mais il existe aujourd’hui nombre de professeurs qui s’interrogent sur leurs pratiques et sur les moyens de transmettre le savoir.
Le Grip, Groupe de réflexion interdisciplinaire sur les programmes, fait partie de ces associations qui entendent réfléchir à la pédagogie sans pour autant accepter les modes et les dogmes. Qualifié de » groupuscule extrémiste » par un inspecteur qui n’aime pas toutes les réflexions en éducation et que son devoir de réserve ne paralyse apparemment pas, le Grip fut fondé, en 2003, par des enseignants qui espéraient avoir un mot à dire dans le grand débat sur l’école lancé par Jacques Chirac. Passant au crible les programmes scolaires, ils ont depuis lancé un projet baptisé Slecc, qui compte aujourd’hui une vingtaine de classes en France. Le projet Slecc, Savoir lire, écrire, compter, calculer, est un projet expérimental.
Françoise Candelier, professeur dans une classe Slecc, raconte son parcours : » J’ai enseigné pendant des années en CP-C1, en utilisant des méthodes de lecture à départ global. Je ne connaissais que cela. Après un congé maternité prolongé, j’ai repris en 1996 avec une classe de CM1-CM2 composée d’élèves que j’avais moi-même formés. J’ai constaté mes propres dégâts. La prise de conscience a été lente et douloureuse. Mais j’ai voulu trouver d’autres moyens d’enseigner. » Le programme Slecc part de cette volonté de trouver des progressions logiques dans l’apprentissage. » Il ne s’agit absolument pas de revenir aux années 50, plaide Françoise Candelier. J’utilise le travail en groupes, les manipulations… Simplement, les parents comprennent comment leur enfant apprend à lire, nous enseignons les quatre opérations dès le CP, et les huit temps de l’indicatif dès le CE2. Preuve que c’est possible, contrairement à ce que prétendent actuellement les opposants à la réforme du primaire. » Le Grip n’est pas le seul groupe de recherche à pratiquer une pédagogie non conforme. Françoise Appy et son mari travaillent dans leur école du Gard à partir d’une méthode qui se veut une » troisième voie « , ni du côté des constructivistes, ni tenants des « vieilles méthodes « . La » pédagogie explicite » travaille sur la compréhension et le maintien en mémoire du savoir, alternant phases de présentation de la notion, pratique guidée et pratique autonome, ne s’interdisant pas le par coeur. » La pédagogie explicite a été mise en compétition avec neuf autres méthodes aux Etats-Unis, explique Françoise Appy. Elle est arrivée en tête pour l’acquisition des fondamentaux, la capacité à raisonner et l’estime de soi. » Selon elle, ce genre de méthode permet d’apprendre le plus tôt possible les notions complexes, ce qui permettra de mieux les intégrer. La France est remplie d’instituteurs inventifs, qui se conçoivent comme des pédagogues sans pour autant cautionner les méthodes à la mode. Confiants dans leur travail, ils demandent des études fondées sur les résultats des élèves, et la liberté de développer ce type d’enseignement. Car la noblesse du métier d’instituteur est dans la recherche et la créativité permanentes.
Ici, l’exemple concernait les instituteurs mais le GRIP s’engage à tous les niveaux de la scolarité, de la maternelle à l’université. J’ai découvert leur travail il y a peu et j’ai trouvé leur projet engageant. Je vous en dis plus sur ce groupe dans un prochain papier.