Antigone de Sophocle / Antigone d’Anouilh

Qui est donc Antigone ? La fille d’Oedipe, oui le fameux Oedipe dont on connaît le complexe davantage que l’arbre généalogique. La fille d’oedipe et de Jocaste (Jocaste qui, je vous le rappelle, est aussi la mère d’Oedipe … ce dernier ayant tué son père et épousé sa mère sans le savoir…). Elle est la sœur de Polynice, Étéocle et Ismène.

Antigone est citée pour la premiere fois dans Les Sept contre Thèbes d’Eschyle. Suite à la guerre des sept chefs au cours de laquelle Polynice et Étéocle s’entre-tuent, elle se lamente sur cette disparition avec sa sœur. Elles apprennent alors l’ordre de Créon (leur oncle et nouveau roi de Thèbes), qui est de laisser le corps de Polynice sans sépulture comme traître à la Cité. Antigone annonce qu’elle enterrera son frère malgré tout.

Sophocle, dans son Antigone, donne la première version achevée de la mort héroïque d’Antigone. Elle est surprise et arrêtée par des gardes alors qu’elle recouvre de terre le corps de Polynice. Paraissant devant son oncle, elle s’obstine à justifier son acte et est condamnée à être emmurée vivante. Hémon (fils de Créon et fiancé d’Antigone) puis Tirésias (devin de Thèbes) interviennent en faveur de l’héroïne auprès du roi, qui se laisse finalement fléchir. Mais Antigone s’est déjà pendue, ce qui provoque les suicides consécutifs d’Hémon et d’Eurydice (femme de Créon).

antigone

Dans la tragédie de Sophocle Œdipe à Colone (jouée 38 ans après son Antigone) Antigone guide son père sur les routes après que celui-ci, ayant réalisé qu’il a tué son père et épousé sa mère, se soit crevé les yeux en se condamnant à une vie d’errance.

Le mythe a inspiré de nombreuses réinterprétations. On pense notamment à La Thébaïde de Racine qui en 1664 reprend le mythe des frères ennemis, mais où Antigone n’y est pas l’héroïne violente et subversive de Sophocle. On pense aussi à Antigone de Cocteau (1922), à celle de Brecht (1947) et à celle d’Anouilh.

C’est la pièce de Jean Anouilh que j’ai écoutée (oui, écoutée) après avoir lu la version de Sophocle. La littérature audio, ça ne séduit pas à tous les coups, et quand il s’agit de théâtre, c’est encore plus périlleux, mais quand Jean Anouilh lui-même lit sa pièce, là, c’est un délice auditif.

C’est en 1961 qu’Anouilh a été enregistré alors qu’il donnait une lecture à voix-haute de sa pièce (double CD chez « Gallimard à voix haute »). Les CD sont accompagnés d’un livret dans lequel Anouilh explique les différences entre sa pièce et la pièce de Sophocle. En voici les grandes lignes :

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– FORME DE LA PIÈCE : La suite des scènes chez Anouilh est à peu près la même que chez Sophocle. Il y a cependant quelques différences. Chez Sophocle, la pièce commence par la scène Ismène-Antigone qui oppose les caractères des deux soeurs et nous explique la mort des frères ainsi que la décision de Créon.

Anouilh lui commence par le choeur qui présente les personnages un par un et le sujet de la pièce, et tout de suite Antigone entre, venant au petit matin de tenter d’enterrer son frère Polynice. Le personnage de la nourrice, qui n’est pas dans Sophocle, l’accueille et s’inquiète de son absence. Anouilh ne fait pas intervenir le devin Tirésias.

– DIFFÉRENCE D’ESPRIT D’ANTIGONE : La pièce de Sophocle est une pièce religieuse. Il faut l’imaginer dans le climat de ferveur religieuse des Grecs de cette époque, pour qui les Dieux et les lois sacrées de la Cité étaient une réalité vivante. Antigone, au-delà du cas de son frère, s’attache à faire la différence entre la loi écrite (la loi de Créon) et la loi non-écrite (celle des Dieux). L’Antigone de Sophocle meurt pour être fidèle à la loi divine : « J’aurai plus longtemps à plaire aux morts qu’aux vivants », dit-elle.

La pièce d’Anouilh semble plus proche de nous car les mobiles d’Antigone ne sont qu’humains. C’est une petite-fille qui ressent dans sa chair l’injustice faite à son frère. L’Antigone d’Anouilh meurt par fidélité pour elle-même. C’est un personnage plus enfantin que celui de Sophocle. C’est surtout une enfant qui refuse les compromissions et les laideurs du monde des adultes.

– DIFFÉRENCES SUR LE CARACTÈRE DE CRÉON : C’est sur le rôle de Créon que les différences entre la tragédie de Sophocle et la pièce d’Anouilh sont tranchées. Le Créon de Sophocle est un tyran borné. Il fait appel aux lois de la cité mais son langage est celui d’un homme politique, on sent que c’est surtout son orgueil qui est en jeu (orgueil personnel et orgueil d’homme). Il est sourd aux arguments humains.

Le Créon d’Anouilh a plus de sentiment humain. Il a profondément pitié d’Antigone, il tente tout pour la sauver. Créon a pour devoir de respecter la loi écrite et pense qu’il ne peut pas écouter son coeur.

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L’Antigone de Jean Anouilh est inspirée du mythe antique, en rupture avec la tradition de la tragédie grecque. « L’Antigone de Sophocle, lue et relue, et que je connaissais par cœur depuis toujours, a été un choc soudain pour moi pendant la guerre, le jour des petites affiches rouges1. Je l’ai réécrite à ma façon, avec la résonance de la tragédie que nous étions alors en train de vivre »2.

Le personnage d’Antigone est l’allégorie de la Résistance s’opposant aux lois édictées par Créon / Pétain, qu’elle juge iniques. Elle refuse la facilité et préfère se rebeller, ne voulant pas céder à une prétendue fatalité… Créon pour sa part, revendique de faire un « sale boulot » parce que c’est son rôle et qu’il faut bien que quelqu’un le fasse. Anouilh s’inspire du geste de Paul Collette, un résistant français qui avait tiré sur Pierre Laval, chef du gouvernement de Vichy, le 27 août 1941. Jean Anouilh, en écrivant cette pièce de théâtre, trouve ainsi le moyen de dénoncer la passivité de certains face aux lois dictées par les nazis. Antigone symbolise la résistance qui s’obstine malgré les dangers encourus. Le public afflue dans des salles chauffées et oublie un temps les horreurs de la seconde Guerre mondiale.

5 réflexions sur “Antigone de Sophocle / Antigone d’Anouilh

  1. Est-on sûr, vraiment, que cette pièce est une allégorie de la Résistance ? L’Antigone d’Anouilh n’a pas la vertu morale de celle de Sophocle : Créon l’a vaincue, et ce n’est que pour elle-même qu’elle va à la mort, finalement. Elle a consenti à remonter dans sa chambre, Antigone. Elle a consenti à ne rien dire à personne de l’ensevelissement de Polynice. Et, surtout, elle a consenti à ce que soient liquidés les trois gardes, seuls témoins de la scène dudit ensevelissement !

    J’y vois, plutôt, une justification du régime de Vichy.

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